Le 15 av. Une petite fête juive méconnue (tou béav)

Le 15 av. Une petite fête juive méconnue (tou béav)

par Hillel Bakis

 

Le 15 Av (ט״ו באב) marque une fête peu connue du calendrier juif.

Du point de vue astronomique, c’est un soir de pleine lune. Comme d’autres fêtes juives : Pessa'h le 15 du mois de Nissan ; Souccot le 15 du mois de Tichri ; Tou Bichevat (le Nouvel An des arbres), le 15 du mois de Chevat ; Pourim (les 14 et 15 du mois d’Adar). C’est aussi après le 15 av que les jours commencent à être sensiblement plus courts et les nuits plus longues.

Du point de vue halakhique, le Choul’hane Aroukh indique qu’on ne prononce pas de Ta’hanoun (confession des fautes) dans les prières de ce jour[1] — comme lors de tous les autres jours de fête, « grandes » ou « petites ».

Il est interdit de jeûner en ce jour, même pour les fiancés avant leur mariage[2]

Certains ont décrété ce jour propice aux mariages[3]

Le Choul’hane Aroukh indique aussi qu’à partir du 15 Av, on doit intensifier son étude de la Torah[4]. Cela, car « la nuit n’a été créée que pour l’étude »[5].

 

Dans l’histoire d’Israël, c’est en ce jour, que

  • les tribus furent autorisées à se marier entre elles, à la suite de l’épisode des filles de Tselof'had[6] ;
  • les gens de la génération du désert constatèrent que le décret divin condamnant les Israélites de la génération des explorateurs à mourir dans le désert[7] avait pris fin.

Selon les coutumes, le Talmud rapporte qu’autrefois, le 15 Av « les filles de Jérusalem s’en allaient danser dans les vignobles, toutes de blanc vêtues » et «celui qui n’avait pas de femme allait là-bas » pour y trouver une épouse[8]. Ce jour-là, les jeunes filles se rendaient dans les vignobles pour se présenter aux jeunes hommes qui cherchaient à fonder un foyer[9].

Il est fait allusion à l’origine de cette coutume à la fin du Livre des Juges[10] : il y est fait mention d’une « fête à Hachèm », célébrée d’année en année. C’était un des jours les plus joyeux en Israël selon Rabbi Shim’on ben Gamliel. Mais le contexte est d’abord tragique puisqu’une guerre civile a suivi le viol et le meurtre d’une femme (Chofetim 19). Un Lévite, accompagné de sa concubine, alla à Giv’ah sur le territoire de la tribu de Benjamin. Les habitants de cette ville, après avoir assiégé la maison de l’hôte du Lévite, violèrent sauvagement la femme jusqu’à ce qu’elle meure. Désespéré et cherchant à se venger, le lévite découpa sa concubine en douze morceaux et les envoya aux tribus d’Israël. Les tribus attaquent les Benjaminites. Il s’ensuivit une guerre civile sanglante qui vit les Benjaminites presque exterminés.

Pour éviter la disparition d’une des 12 tribus d’Israël, une fête à Hachèm a été instituée, célébrée annuellement à Shilo qui était un haut lieu religieux d’Israël à cette époque, abritant l’Arche d’Alliance. Les Benjaminites eurent la permission de s’unir aux jeunes filles des autres tribus. Ces dernières allaient à Shilo vêtues d’habits blancs qui leur avaient été prêtés (afin que l’on ne puisse distinguer les riches des pauvres). Elles allaient danser dans les vignobles attendant que les jeunes hommes célibataires de la tribu de Benyamine sortent à leur tour pour enlever chacun une femme parmi elles[11]. Cette cérémonie avait lieu le 15 Av.

 

Du point de vue agricole, Tou béav marquait également une commémoration spéciale : celle où l’on rassemblait du bois pour alimenter les feux de l’Autel pour qu’il y en ait suffisamment pour passer l’hiver. C’était le jour du korban etzim («offrande des arbres »)[12]. Après les mois de printemps et d’été, le bois était devenu très sec, et donc on pouvait être sûr qu’il ne contenait pas de vers. En effet, des bûches véreuses auraient été impropres à un usage saint[13].

 

Du point de vue mystique, Tou béav qui marque la pleine lune « du tragique mois de Av, est la fête de la Rédemption future »[14]. Ce jour est même considéré « comme la plus grande fête [juive] de l’année, suivie de près par Yom Kippour ! »[15].

Lors du jour du korban etzim (« offrande des arbres ») le bois rassemblé n’était pas véreux, on l’a dit plus haut. Mais ce jour du 15 Av rappelait aussi la fin d’une épidémie qui avait infesté le bois destiné aux feux destinés aux korbanot (sacrifices)[16]. Le vers est une sorte de prolongement symbolique du serpent. Tout comme le serpent avait cherché à briser l’harmonie entre Adam et ‘Hava, le premier couple, les vers des bûches du Beth hamikdach visaient à rompre l’harmonie entre D.ieu et Israël. Avec la disparition de cette infestation, l’Autel pouvait de nouveau remplir pleinement son rôle : établir et maintenir la paix dans le couple formé par Israël et Dieu. Grâce au pardon obtenu lors des sacrifices, l’Autel réconciliait le fiancé (Hachèm) avec sa fiancée (Israël)[17].

Ainsi, ce jour est le symbole de la restauration du « couple » Dieu-Israël[18].

 

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Notes 

[1] Choul’hane Aroukh, Orah Hayim 131, 6.

[2] Levoush Orah Hayim 580, 2 ; Maguen Avraham 573,1. Cité par fr.wikipedia.org/wiki/Tou_BeAv.

[3] Bnei Issakhar, Ma'amar betoula bema'hol 2. Cité par fr.wikipedia.org/wiki/Tou_BeAv.

[4] R' Shlomo Ganzfried (1998), Abrégé du Choulhan Aroukh, Tome 1, chapitre 71, 1 (p. 341), Colbo, Paris. Voir : Rabbenou Guershom sur T. B. Ta’anit 31a & T. B. Baba Batra 121b ; Rabbenou Hananel et Rachi sur TB. Ta’anit 31a ; Rashbam sur T. B. Baba Batra 121b (cités par fr.wikipedia.org/wiki/Tou_BeAv).

[5] T. B. ‘Erouvine 65a.

[6] Bamidbar, chapitre 36.

[7] Bamidbar 14, 26-38 ; T. B. Baba Batra 121b et Eikha Rabba, petihot s.v. Rabbi Zeira. Cité par fr.wikipedia.org/wiki/Tou_BeAv. Sur la relation du 15 av avec l’histoire d’Israël, voir aussi : T. B. Ta’anit 30b et T. B. Baba Batra 121a-b.

[8] Talmud, cité par ‘Habad, « Le 15 Av : Amour et Renaissance. » fr.chabad.org.

[9] C’est pourquoi une « coutume » israélienne profane s’est greffée sur cette fête : ce jour est devenu une sorte de fête de l’amour et des amoureux parmi un certain public laïc, en imitant un jour similaire fêté par les chrétiens (le 14 février). Evidemment, cela n’a rien à voir avec le judaïsme.

[10] Chofetim, chapitre 19 à 21.

[11] Chefetim 21, 17-19.

[12] Voir : Meguilat Ta’anit, 5 ; Néhémia, 10, 34 ; Michna Ta’anit 4, 5. Cit. https://fr.wikipedia.org/wiki/Tou_BeAv

[13] Dans les kibboutzim, plusieurs tentatives ont été faites pour célébrer en ce jour du 15 Av une célébration agricole : fête de la tonte ou fête de la vigne (‘Hagigat ha-Keramim mentionnée dans la Mishna Ta'anit 4, 8). Cela, sans grand succès. https://www.jewishvirtuallibrary.org/kibbutz-festivals#google_vignette.

[14] ‘Habad, « Le 15 Av : Amour et Renaissance. La fête de Tou beAv » https://fr.chabad.org/library/article_cdo/aid/619273/jewish/Le-15-Av.htm

[15] Talmud, cité par ‘Habad, « Le 15 Av : Amour et Renaissance. » fr.chabad.org.

[16] R’ Mena’hem Berros (2004), Pardes Mena’hem. Le verger consolateur. Tome Dévarim, pp. 86-87 ; Centre ‘Hida, Marseille.

[17] R’ Mena’hem Berros (2004), Pardes Mena’hem. Le verger consolateur. Tome Dévarim, pp. 86-87 ; Centre ‘Hida, Marseille.

[18] Le 15 Av est aussi le jour choisi par Moshé pour entamer sa démarche de supplications auprès d’Hachem (parachat vaét’hanane). Connaissant parfaitement le potentiel béni contenu dans ce jour-là, Il pouvait effectivement espérer que sa prière soit exaucée et qu’il pourrait lui être permis d’entrer en Erets Yisraël (d’après R’ Mena’hem Berros, Pardes Mena’hem. Dévarim, pp. 86-87).

 

(c) Hotsaat Bakish, août 2024 .