Cuisine et pâtisserie juives

 

 

 Cuisine et pâtisserie juives …  au fil du temps

Quelques recettes des familles judéo-maghrébines 

par Hillel Bakis

 Introduction - Les traditions culinaires familiales 

Cet ouvrage a pour but de présenter des recettes juives variées qui sont souvent intiment associées à des moments précis de l’année (fêtes, chabbat, etc.). Au fil de la présentation de ces recettes on ne manquera pas d’indiquer les problèmes éventuels de la cacherout de certains ingrédients. La cuisine est en effet le lieu privilégié de la mise en pratique des lois de l’alimentation kachère.  

Les recettes juives présentées ici proviennent de différentes traditions (notamment judéo-maghrébines : algériennes, marocaines et tunisiennes[1]). Certaines résultent d’une évolution naturelle vers plus de "légèreté" d’une part, vers une addition de recettes venues de tous les horizons d'autre part. Bien entendu, nous indiquerons chaque fois que nécessaire les emprunts ou variantes présentes dans divers ouvrages.

 

Une cuisine étant vivante comme toute culture, nous nous permettrons aussi de proposer des évolutions et additions en vue de la préparation de plats d’esprit traditionnels mais compatibles avec la diététique contemporaine et les produits disponibles aujourd’hui. Certaines recettes ne sont plus d’actualité, pour cause de diététique (trop grasses) ou de manque de temps (trop longues à préparer) - mais ce n’est pas une raison suffisante pour les oublier : comme les autres elles font partie d’un patrimoine ! De plus, rien n’empêche, sans excès, de les déguster de loin en loin, notamment lors de fêtes. Ou encore, de les faire subtilement muter pour qu’elles deviennent compatibles, au moins en partie, avec les goûts contemporains.

 

Le recueil suivant semble utile aussi pour compléter les nombreux livres publiés sur la cuisine juive en général, ou la cuisine sépharade en particulier, malgré les avantages des uns et des autres [2] ; en complément aussi des très nombreux sites dédiés à ce sujet sur Internet[3].

Cela nous donnera l’occasion de rectifier certains points : nous avons relevé par exemple quelques lacunes dans un ouvrage incontournable réunissant quantité d'informations remarquables sur la table juive algérienne[4]. Ailleurs, sont inversées en particulier les définitions de l'arces et de la tréda [5].

 

Il a semblé intéressant de présenter quelques coutumes propres à chaque fête, ou d’usage courant, selon les traditions culinaires des familles. Ces relevés de quelques traditions culinaires des tables juives maghrébines s'inscrivent dans la recherche de l'auteur sur les traditions judéo-maghrébines[6], tant dans le domaine des fables, contes et récits (voir notre anthologie) qu’en matière d'exégèse biblique. Après tout, la cuisine est une expression de la tradition[7]. L'introduction du livre de Claudia Roden[8] peut d'ailleurs porter le tire "Un hymne à nos racines : aux générations passées, aux mondes disparus et à l'identité" (p. 13) [9].

De fait, préparer, déguster (mais aussi lire ou écrire sur) la cuisine juive sont des expressions identitaires.

On sait que cette tradition-là est tout particulièrement sensible aux transformations de la vie moderne, d'où la difficulté supplémentaire surgissant devant les personnes amenées à faire un régime pour cause de santé : les traditions culturelles en seraient directement affectées ! Comme cela a été noté par des sociologues, "manger sert... à concrétiser un des modes spécifiques de relations entre la personne et le monde, dessinant ainsi un de ses repères fondamentaux dans l'espace-temps" [10]. Les mêmes auteurs soulignent également que "nous mangeons nos souvenirs, les plus sécurisants, assaisonnés de tendresse et de rites, qui ont marqué notre petite enfance". Ils ajoutent aussi : "les conduites alimentaires constituent un domaine où le présent et le passé se mêlent inextricablement" [11]. Malgré maintes migrations, cette cuisine juive conserve le souvenir de nombreuses influences passées (berbère, arabe, turque, espagnole, grecque, italienne, française...), héritages de l’histoire mouvementée du peuple juif.  

C’est en plus un domaine qui témoigne des échanges entre communautés vivant dans un même pays. Certains y voient « un modèle de fusion entre deux communautés » [12] - on devrait plutôt parler d’influences car la cuisine juive n’adopte et n’adapte que ce qui est compatible avec les lois de cacherout dans les recettes des autres communautés. Il un résulte une forme de métissage culinaire qui provient du mariage des saveurs, des ingrédients et des couleurs.

 

Est-il besoin de préciser que nous n'entendons pas être exhaustif. Pour ce genre de livre, il y aura toujours un lecteur qui demandera « Pourquoi n’ai-je pas trouvé la recette de... » ! La réponse tient au mieux à l’orthographe, mais aussi à la grande variété de la créativité régionale et familiale. Même si la recette est lue, on pourra la contester sur la base de la tradition maternelle - qui pouvait être une variante originale ou une fantaisiste sur un thème classique...

Il nous suffira de noter ici, guidé par notre propre subjectivité, une sélection parmi beaucoup de (bonnes) choses... La collecte des recettes peut fournir d’intéressantes informations folkloriques voire généalogiques ou retracer l’histoire des migrations familiales. Souvent la coutume du mari se trouve devenir la nouvelle coutume culinaire familiale, mais même dans cette situation, l'épouse parvient à introduire sa touche ici ou là. Au contraire, c'est parfois la coutume culinaire des épouses qui devient essentielle, surtout lorsque c'est cette coutume qui a cours là où le ménage habite. Ainsi, l’évolution de la tradition gastronomique met en lumière ici, le mariage des traditions culinaires des époux au service de la paix des ménages.

C’est là toute la table juive : chalom bayit, sérénité familiale, attachement à la foi ancestrale, et adaptation dans la continuité. 

 

 


[1] Nos premières recettes ont été collectées auprès de ma mère (Bône, Algérie 1926 - 2017 Nogent-sur-Marne). Elles ont été complétées et mises au goût du jour (une cuisine plus light) selon les précisions notamment obtenues de mon épouse (née à Sousse, Tunisie). Toute autre contribution sera précisée en note.

[2] Voir les ouvrages indiqués à la fin de cet ouvrage.

[4] Ainsi:

  • nous n'avons pas relevé une seule allusion à l'arces (ou r’ssiss qui est pourtant apprécié par les juifs du Constantinois (voir: https://editionsbakish.com/1682);
  • nous avons repéré une inversion dans le nom de deux formes de pâtes de maison: le rèchta et le  dreymète. On trouve en effet drehmet = nouilles carrées, et reshta = nouilles longues or, à tort ou à raison les noms sont inversés du moins dans l'Est algérien. Voir le livre majeur de Joëlle Bahloul (1983), Le culte de la Table Dressée. Rites et traditions de la table juive algérienne. M. A. Métailié, Paris.

[5] Mais peut-être l'inversion n'a-t-elle cours que dans quelques familles, ou villes ? Voir: Joelle Allouche-Benayoun et Doris Bensimon (1989), Juifs d'Algérie hier et aujourd'hui. Mémoires et identités, Bibliothèque historique Privat, Toulouse, 290 p.(cet ouvrage sera parfois signalé par AB-B).

[6]  Voir les pages sur ces sujets dans le site editionsbakish.com - site qui présente une vue d’ensemble de nos différentes approches.

[7]  Une véritable étude, en fait, dépassant de loin de seul cadre gastronomique.

[8]  Voir le conte n° 6 ‘L’examen du Bar-mitsva’ tiré de notre Anthologie des Contes et récits juifs d’Afrique du Nord, Le fil du temps. Vol. 1 (AJ Presse, 2000), p. 26-27.

[9]  Voir l'introduction de Claudia Roden (2003), Le livre de la cuisine juive, pp. 13-62, Flammarion, Metropolis. 

[10]  Giard L. et Mayol D. L'invention du quotidien. Tome 2: Habiter cuisiner. Coll. 10/18,  UGE, 1980, Paris, pp. 149-215. Cit Joelle Allouche-Benayoun et Doris Bensimon1989.

[11]  Giard L. et Mayol D. L'invention du quotidien. Tome 2, 1980.

[12]  Moyoussef Nina & Moyoussef Viviane, 350 recettes de cuisine juive marocaine.

 

 Dernière mise à jour de l'introduction: 1er juin 2017

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