Construction de l’Arche de Noa’h : des instructions désordonnées ?

Construction de l’Arche de Noa'h : des instructions désordonnées ?

(c) Hillel Bakis, oct. 2021

En trois versets, Hachèm ordonne à Noa’h (Noé) de construire un navire.

Le premier des trois versets est étonnant.

עֲשֵׂ֤ה לְךָ֙ תֵּבַ֣ת עֲצֵי־גֹ֔פֶר קִנִּ֖ים תַּֽעֲשֶׂ֣ה אֶת־הַתֵּבָ֑ה וְכָֽפַרְתָּ֥ אֹתָ֛הּ מִבַּ֥יִת וּמִח֖וּץ בַּכֹּֽפֶר  

« Fais-toi une arche de bois de cèdre; tu diviseras cette arche en cellules, et tu l’enduiras en dedans et en dehors de poix. » (Béréchit 6, 14). 

 

Ce verset mentionne la matière, l’agencement interne en cellules et l’enduit.

Cela est étonnant. Est-ce qu’un architecte donnant des consignes pour la construction d’un immeuble dirait : « faites un immeuble en béton, avec des chambres, et recouvrez le d’une couche d’enduit » ? Evidemment non. Les détails sur l’agencement ou la peinture ne devrait être mentionnés qu’après ceux relatifs à la construction du bâtiment avec plutôt des indications précises et chiffrées sur les fondations, le nombre d’étages.

 

Or à propos de la construction de l’arche, ce n’est qu’avec le deuxième verset que des indications chiffrées sont données.

וְזֶ֕ה אֲשֶׁ֥ר תַּֽעֲשֶׂ֖ה אֹתָ֑הּ שְׁלֹ֧שׁ מֵא֣וֹת אַמָּ֗ה אֹ֚רֶךְ הַתֵּבָ֔ה חֲמִשִּׁ֤ים אַמָּה֙ רָחְבָּ֔הּ וּשְׁלֹשִׁ֥ים אַמָּ֖ה קֽוֹמָתָֽהּ׃  

« Et voici comment tu la feras : trois cents coudées seront la longueur de l’arche, cinquante coudées sa largeur, et trente coudées sa hauteur. » (Béréchit 6, 15). 

 

Et ce n’est qu’avec le troisième verset que des instructions sont données sur le nombre d’étages, la position d’une porte, d’une fenêtre.

צֹ֣הַר ׀ תַּֽעֲשֶׂ֣ה לַתֵּבָ֗ה וְאֶל־אַמָּה֙ תְּכַלֶּ֣נָּה מִלְמַ֔עְלָה וּפֶ֥תַח הַתֵּבָ֖ה בְּצִדָּ֣הּ תָּשִׂ֑ים תַּחְתִּיִּ֛ם שְׁנִיִּ֥ם וּשְׁלִשִׁ֖ים תַּֽעֲשֶֽׂהָ׃

 « Tu donneras une fe­nêtre à l’arche, que tu réduiras, vers le haut, à la largeur d’une coudée; tu placeras la porte de l’arche sur le côté. Tu la composeras d’un étage inférieur, d’un second et d’un troisième. » (Béréchit 6, 16).

 

L’ordre des détails indiquées par ces trois versets n’est donc pas ce qu’attendrait un exposé logiquement construit. Notons que le deuxième verset commence par וְזֶ֕ה אֲשֶׁ֥ר תַּֽעֲשֶׂ֖ה אֹתָ֑הּ   « Et voici comment tu la feras » ; le verset précédent ne traitait donc pas de la construction elle-même.

Dans la Torah tout a du sens. Au-delà du sens littéral, cet ordre (apparemment désordonné) enseigne d’importantes allusions sur ce qu’est l’Arche de Noa’h[1].

 

עֲצֵי־גֹ֔פֶר   - Bois de gofer (cèdre)  - Rachi explique la génération du déluge allait être effacée par du soufre (gofrit).  Les eaux du déluge contenaient du soufre. Le ‘Hizkounï, indique qu’une relation existe entre soufre et bois de gofer. Dans le Sifté ‘ha’hamim[2], on apprend que Gofer a la même racine que gofrit (soufre) et qu’il y a là une allusion. Une fois la destruction commencée, toute la génération sans distinction aurait pu disparaître avec le déluge. Le choix de ce matériau (gofer) permit d’éviter la destruction de l’arche : les eaux soufrées pouvaient se dispenser de frapper ce navire (qui était lui-même en « gofer/soufre »[3].

 

קִנִּ֖ים תַּֽעֲשֶׂ֣ה   - Des compartiments pour chaque couple d’animaux - Ibn Ezra enseigne que les compartiments venaient expier la faute des animaux qui avaient comme les être humains perverti leur voie par des alliances entre espèces différentes. Les compartiements venaient faire kapara pour cela, chaque couple se retrouvant isolé de ceux des autres espèces.

 

בַּכֹּֽפֶר  - Enduit de poix (Cofer) à l’intérieur et à l’extérieur. - Ibn Ezra enseigne aussi que le fait que l’arche a été couverte de cofer fait allusion à la kapara donnée par D. Les deux mots ont en effet la même racine. Ibn Ezra rappelle que le mot kaporet (couvercle de l’Arche d’alliance du Temple ayant pour fonction de permettre le pardon divin) a pour racine « kaper » pardonner.

Ces explications permettent de comprendre le désordre apparent qui enseigne :

  • Que l’Arche était faite de bois de gofer pour « réaliser en quelque sorte le décret de gofrit qui devait s’abattre sur toute la génération » 
  • Qu’elle était divisée cellules distinctes afin de réparer la faute du croisement inter-espèces ;
  • Que l’enduit de kofer signifiait le pardon divin accordé aux habitants de l’Arche.

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NOTES

[1] Inspiré de Kountrass (2009), 501 drachoth. Compilation de commentaires sur le ‘Houmach et les ‘Haguim. Tome 1, Béréchith et Chémoth, Jérusalem, pages 28-29.

[2] Ouvrage du Rav polonais Shabtay Bass (1641-1718).

[3] « Il est possible que même les êtres, vivants qui devaient être sauvés dans l’Arche tombaient sous le coup de ce décret, mais D. dans Sa grande miséricorde changea le gofrit en gofer» Kountrass (2009).