Fables- Préface

 

 

Préface 

 

« En arrivant au Mont du Temple, ils virent un renard qui sortait... Rabbi Akiva souriait ...»

Talmud Babli, Makkot, 24b

 

La Aggada, le conte, les fables, offrent de grandes possibilités pour éduquer les jeunes enfants [1]. Notre objectif est d’illustrer dans chaque fable de ce livre, un enseignement de morale pratique se situant dans la tradition de nos sages. Dans les fables d’Israël, dialogues, actions, et allégories fournissaient autant d’occasions pour illustrer et pour mieux enseigner la Torah [2].

Certaines merveilleuses historiettes et fables d’Israël sont malheureusement méconnues du grand public, y compris dans les milieux traditionalistes et pratiquants - comme, d’ailleurs, tant de parties du patrimoine culturel juif.

Sait-on que des allégories juives anciennes mettent en scène le renard et d’autres animaux? Sait-on que la tradition d’histoires juives sur le renard, précède de mille ans les compilations médiévales[3]? Rabbi Meïr connaissait, dit-on, trois cent anecdotes allégoriques sur ce thème. Intervient aussi le loup, comparse malheureux de Renard, à qui est dévolu le rôle peu enviable du méchant. Quant à Rabbi Akiba, une fable lui est attribuée par le Talmud: on y voit un renard converser avec des poissons... car il souhaite les amener sur la terre ferme pour les manger... La tradition rabbinique ajouta apologues et allégories, ainsi que des récits inspirés de la vie des justes et d’où étaient déduits enseignements et commentaires...Sont mis en scène, également,  des animaux variés: loups, renards, chacals, lions, agneaux, moustiques, araignées, fourmis, vers, serpents, oiseaux....Le chacal est présent dans certains contes juifs où il joue le rôle de Renard: un rusé qui sait se tirer brillamment d’affaire lorsqu’il est en situation difficile.

Il existe donc une sorte de Fabliau d’Israël contenu dans les aggadot du Talmud et les commentaires rabbiniques et qui servaient à illustrer l’enseignement religieux et moral dispensés par les maîtres à leurs disciples. Il est désolant qu’elles se  soient perdues pour l’essentiel.

Il est troublant de constater que Rabbi Meir, ou Rabbi Akiba racontaient à leurs élèves des histoires de renard, tout comme les troubadours du Moyen âge. Pouvons-nous formuler l’hypothèse - qui semblera hardie - du passage dans la tradition occidentale d’éléments venant de cette tradition juive de l’allégorie animale?

La réponse à cette question est positive, contrairement à ce que peut penser un lecteur formé par l’école occidentale. Mais comment  est-ce possible? Le nom de Renard -  d’origine germanique (Reinhart) -  est devenu si populaire qu’il s’est substitué dans la langue française au mot ancien de goupil. Qui n’a pas entendu raconter des fables ou des historiettes où le héros principal est Renard? Ses aventures sont contées pour le divertissement et la satire. Presque toujours Renard mène le jeu souvent seul face à divers adversaires ligués contre lui, dont le loup Isengrin. Le goupil a, en général, une attitude provocante et insolente, il utilise la ruse. Le « héros » est cruel envers son prochain. Il ment, il vole, il trompe, il trahit sans aucun regret et en s’amusant de l’infortune de ses victimes. De fait cette oeuvre populaire européenne a brodé sur ce thème, dans un esprit tout différent du modèle juif originel.

Pourtant, c’est de la tradition juive reçue de Rebbi Meir Baal Haness et de Rabbi Akiba que semble issue  une partie de la tradition réunie sous le nom de Roman de Renard. On lit ainsi sous la plume d’un spécialiste de cette littérature: « Parmi les sources écrites du Roman de Renard, il faut citer un recueil d’histoires morales composées par un juif converti, Pierre Alphonse, au début du XIIe siècle »[4]A partir de la tradition juive, il semble donc que divers contes ont été inventés à mesure, puis regroupés sous le nom Roman de Renard. Une véritable épopée animale a été rédigée dès l’an 1175 [5], puis enrichie d’éléments nouveaux et de multiples variantes au XIIIe siècle.

Ainsi, une partie du patrimoine perdu des histoires de renard de Rebbi Meir se trouve contenu dans quelques anecdotes de la tradition occidentale, y contribuant avec certaines fables attribuées au Grec Esope[6], et diverses traditions populaires. Il est ainsi établi que c’est de la tradition juive qu’est directement issue l’histoire « Renard et le puits » qu’on lira dans cet ouvrage[7]. D’autres histoires de la même veine sont rapportées aux noms de Rabbi Meir ou de Rabbi Akiva; nous avons par ailleurs adapté certaines histoires afin de les rendre compatibles avec la tradition juive [8].

 

Diverses anecdotes rabbiniques ont été réunies au 13ème siècle (Yalkut, commentaire biblique), au 15ème siècle (Sepher ha-massiyot), au 16ème siècle (Ein Yaakob, commentaire talmudique). Déjà, au 12ème siècle, Rabbi Berachiah Ha-Nakdan avait réuni des fables variées - de renard notamment - dans Mishley Shu’alim: nous nous inscrivons dans cette même démarche. Les fables de ce recueil proviennent de sources juives ou fournissent une adaptation juive de thèmes tirés de sources diverses.

La tradition  juive apprécie les paraboles et fables imagées. Cette tradition remonte à la Bible elle-même qui contient une véritable fable (Chofétim /Juges 9-8 à 9-15) ainsi qu’à des enseignements de Rabbi Akiba et de Rabbi Meir [9], aux aggatoth talmudiques, au Midrach et aux homélies rabbiniques [10].Cette tradition n’hésite pas à l’occasion, à s’enrichir en empruntant des thèmes à d’autres  folklores, tout en les traitant dans un esprit qui lui est propre. Il en a été de même en Europe, où existe un ancien corpus de fables juives [11]. Dans les fables et contes qui suivent, les acteurs sont principalement des éléments du milieu naturel (la Mer), ou divers animaux devenus personnages en relation avec des hommes. Quelques fois, des hommes illustres sont mis en scène (Rabbi Akiba, Moïse, le Roi David, Rambam, etc.)

 Les enfants de notre temps, hors de certains quartiers d’Israël peut-être, sont plus ou moins immergés dans un contexte profane malgré les efforts que consentent certains parents. Ils sont aussi friands de lectures divertissantes et de loisirs culturels qui ne soient pas uniquement liés à l’étude. Il a donc semblé judicieux d’utiliser cette tendance pour illustrer certains enseignements de nos sages, en écrivant des textes distrayants mettant en scène, à côté des figures traditionnelles (personnages de la Bible, anciens ou contemporains - voir contes et récits), des personnages de fiction et notamment des animaux. Il s’agit, dans  ce dernier cas, de procéder à une réappropriation juive de contes et fables variés (Renard par exemple) dans le droit fil de la tradition aggadique. Il y a là une opportunité supplémentaire pour les éducateurs de véhiculer le message de nos prophètes et rabbins, dans des contes et fables réécrits de manière à constituer de  véritables « contes et fables d’Israël » [12]. C’est tout le propos de cet ouvrage [13]. 

 

Le lecteur pourra également se repporter à nos "contes" mettant en scène des animaux qui permettent également une utilisation complémentaire à l'école. (voir les pages Contes de ce site).

Hillel BAKIS


[1] Il est bon de méditer à cet égard une parole du Grand-Rabbin de Bône, Rabbi Rahamim Naouri (ZTs'L) alors qu’il était sur le bâteau qui s’éloignait de l’Algérie: le mot Bône, en  hébreu peut se lire constructions mais aussi enfants. « Ce qu'on laisse derrière nous, ce sont des murs, des constructions de pierres mortes. Mais nos enfants, nos élèves, tous les fils de Bône, eux vivent. Ils continuent notre oeuvre. Ce sont nos constructions vivantes" (1962). Citation par : Mr. Berrebi, in Cohen-Solal Brochure de témoignages sur la vie du Grand-Rabbin Rahmim Naouri, Jérusalem, 1988.

[2] Pourtant, à l’exception de leur morale explicite ou implicite, nombre des fables d’Israël auraient pu être signées Pilpay, Esope, Babrius, Horace, Phèdre, Saadi, Marie de France, La Fontaine, La Motte, Florian ou Lachambeaudie... si l’on accepte de ne considérer que le piquant littéraire.

[3] La Michna fut définitivement rédigée par R. Yehouda Hanassi dit Rabbi (appartenant à la cinquième génération des Tannaïm: vers 165-200). Rabbi Akiva fait partie de la troisième génération et Rabbi Meïr de la quatrième génération des Tannaïm: les fables rapportées en leurs noms datent donc du second siècle de l’ère courante. Or la première compilation du Roman de Renard n’apparaît qu’en 1175 (Pierre de Saint-Cloud).  C’est dire l’antériorité des fables juives de renards.

[4] Cet auteur, également appelé Petrus Alfonsi, est un Juif d’Espagne converti au catholicisme. Son recueil, Disciplina clericalis, « a mis à la disposition de la culture chrétienne occidentale un certain nombre de préceptes et de recits orientaux susceptibles de l’enrichir », M.-F. Notz., Le roman de renard. Principaux épisodes traduits, Bordas, Paris, 1986, p. 7.

[5] Réunies d’abord par Pierre de Saint-Cloud vers 1175, puis par l’Alsacien Henri le Glichezâtre.

[6] Certains critiques pensent qu’il n’écrivit jamais les fables qui lui sont attribuées.... 

[7] Notz M.-F., Docteur es Lettres écrit : « l’aventure des animaux dans  le puits, que Pierre Alphonse tenait lui-même d’un commentaire du Talmud ». Notz Marie-Françoise (1986), ouvrage cité,  p. 7

[8]Adaptation juive à partir de thèmes tirés de sources varées:

* Bible: Le Roi des arbres.

[9] Voir Bakis Hillel (2000), Renard et le loup... et autres fables d’Israël, E.R. Jeunesse, Paris, avril, 68 p.. Dans cet ouvrage, nous avons tenté de faire revivre pour les jeunes d’aujourd’hui un corpus d’histoires sur le renard rédigées dans les perspectives propres à la foi et à la morale traditionnelle, conformément aux illustres exemples cités plus haut.

[10] Voir le très anciens corpus dus à Rebbi Nissim de Kérouan repis et augmenté dans Le livre de Exemplas. Voir Gaster ***

[11] Rabbi Berakhia Ha-Nakdan, Sentences du renard /  Michley chou‘alim; texte imprimé en Italie dès le 16e siècle (rédité par Haïm Schwartzbaum); Wallich Moché, The book of  fables, publié en Yiddqish à Francfort en 1697. Edition anglaise par Eli Katz....

[12] Diverses anecdotes rabbiniques ont été réunies au 13ème siècle (Yalkut, commentaire biblique), au 15ème siècle (Sepher ha-massiyot), au 16ème siècle (Ein Yaakob, commentaire talmudique). Déjà, au 12ème siècle, Rabbi Berachiah Ha-Nakdan avait réuni des fables variées - de renard notamment - dans Mishley Shu’alim: nous nous inscrivons dans cette même démarche. Les fables de ce recueil proviennent de sources juives ou fournissent une adaptation juive de thèmes tirés de sources diverses.

 

Mise à jour 28 juin 2015

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