Talmud de Jérusalem

 

Le Talmud de Jérusalem

Le Talmud de Jérusalem (Talmud Yérouchalmi  תלמוד  ירושלמי  [1] a été rédigé en Israël (dans les Académies de Séphoris, Tibériade, Césarée et Lyda) dans les premiers siècles de l’ère courante probablement par Rav Mouna et Rav Yossi (vers 350 - fin du 4ème siècle).

A l’époque de la rédaction de ce Talmud, l’inclusion d’Erets Israël dans l’empire Romain, a contrarié la finition de ce texte car le christianisme était devenu religion d'État [2]. La résidence à Jérusalem étant alors interdite aux Juifs par Rome, le nom même de Talmud de Jérusalem est impropre. Il était d’ailleurs appelé Talmud Erets Israël ou Guémara de-Erets Israel par les Gaonim (Sa’adia Gaon, ‘Haï Gaon). Il est également nommé Talmud de l’Ouest en référence à la situation géographique d’Erets Israël (Tibériade), par rapport à la Babylonie et à la terminologie du Talmud de Babylone (« à l’Ouest, on dit »). C’est le cas au 9ème siècle, R’ Siméon Kayyara [3] qui l’appelle Talmoud dema’araba ; c’est le cas dans les siècles suivants par les rabbins maghrébins (R’ Nissim ben Ya’akob de Kairouan ; Alfassi) qui l’appellent Talmoud debéné ma’araba. Quant aux Tossafistes, ils parlent de hilkhot Erets Israël [4]. L’appellation actuelle se rencontre au temps des Gaonim et plus encore chez R’ ‘Hananel de Kairouan, Alfassi et les auteurs du Moyen Age. A partir de l’occupation arabe, Jérusalem redevint le siège de l’Académie principale avant de la céder à la Babylonie.

La prédominance du Talmud de Babylone dans tout le monde juif (y compris en Erets Israël) contraria la bonne transmission du texte du Talmud de Jérusalem. Deux raisons ont conduit à sa moindre faveur par rapport au Talmud de Babylone : son état matériel (conservation fragmentaire, feuilles perdues) mais aussi un texte souvent difficile (y compris pour des talmudistes expérimentés). Il représente cependant une source essentielle. D’ailleurs, dans le Talmud de Babylone, les avis des maîtres de Galilée sont souvent exposés.

Ce Talmud fut systématiquement étudié dans l'école de Kairouan (Tunisie), héritière des Gaonim babyloniens par R’ Houchiel père de R’ Hananel. R’ Hananel [5] et  R’ Nissim Gaon (v. 1000) ont analysé des enseignements du Talmud de Babylone en se servant de leur connaissance des maîtres de Galilée.

L’Académie de Jérusalem disparut au 11ème siècle. La halakha de Babylonie ayant prédominé dès 750 AEC, R’ Yéhouda Gaon plaida en sa faveur. Vers 800, R’ Pirkoy ben Baboy adressa une lettre à la communauté juive de Kairouan (Tunisie), critiquant la halakha d’Erets-Israël [6]. Alors que les deux traditions ont leur place dans un ouvrage du 10ème siècle (Sefer ha-Metibot), ce n’est plus le cas dans les communautés d’Afrique du Nord (R’ Hananel et R’ Nissim de Kairouan, et plus encore le RIF [7]) qui reconnaissent l’autorité de la tradition babylonienne. Cette autorité ne fut plus remise en cause par le judaïsme orthodoxe, y compris par les Juifs achkénazes[8].

Pendant que la majorité du monde juif adoptait le Talmud de Babylone, le Talmud de Jérusalem exerça une influence prépondérante sur les Romaniotes (Juifs de l’Empire romain d’Orient, de culture grecque). Mais après l’expulsion des Juifs d’Espagne, l’influence séfarade a fait que la culture romaniote s’est dissoute dans celle des Séfarades dès le 16ème s.

Dans son introduction au commentaire de la Michna, Rambam indique le rôle de R’ Yohanan bar Nappaha dans la rédaction de ce texte: « Et R’ Yohanan a rédigé le Talmud d’Erets Israël ». R’ Abraham ben Daoud précise que cette rédaction a été faite « environ 200 ans après la destruction du Temple » l’auteur présumé étant mort en 279. Ces indications chronologiques sont cependant à prendre avec prudence car nombreux sont les rabbins cités dans le Talmud de Jérusalem qui vécurent jusqu’à la fin du 4ème siècle et même au début du 5ème siècle [9]. Un événement datant du milieu du 4ème siècle est mentionné : le soulèvement juif contre le général Ursicinus et Constantin Gallus (351–352) [10]. Aussi, R’ Estori Hapar’hi de Montpellier[11] considère-t-il que R’ Yo’hanane bar Nappaha n’était pas l’auteur, mais qu’il s’agissait d’un R’ Yo’hanane ayant vécu 280 ans après la Michna [12]. Des auteurs modernes estiment que la mention de R’ Yohanan par Rambam renvoit à son école (l’école de Tibériade) [13].

C’est à Tibériade que ce texte semble avoir été principalement composé. Plusieurs arguments vont en ce sens, outre les considérations historiques interdisant aux Juifs toute résidence à Jérusalem. De plus, les rabbins de Tibériade sont présents majoritairement dans les divers chapitres [14].

 
Les manuscrits

Les copies manuscrites conservées, complètes ou assez longues, sont assez rares. De ce fait, les citations glanées dans les ouvrages médiévaux ont une grande  importance du fait de la rareté des manuscrits [15], même si elles doivent être maniées avec prudence. Citons :

  • Le Manuscrit de Leyde (672 feuillets, 1289) [16]. Il servit de base à la première édition (Bromberg, Venise, 1523) ;  [17]
  • Le Manuscrit de Rome (152 feuillets) ;
  • Les fragments de la Genizah du Caire.

Encore une fois, on ne peut que déplorer les destructions de manuscrits hébraïques à travers l’histoire au cours des innombrables persécutions contre les communautés juives [18].

 
La forme

Deux constatations principales peuvent être formulées :

  • De nombreux traités de la Michna ne sont pas commentés par le T.J. (voir dans ce chapitre les tableaux synthétiques) ;
  • De longues redondances apparaissent: 39 longs paragraphes du premier ordre sont répétés dans le deuxième ordre parfois  plus d’une fois ; 16 paragraphes du premier ordre sont répétés dans le troisième ordre ; 10 paragraphes du premier ordre ainsi que des paragraphes du deuxième ordre sont répétés dans le quatrième ordre [19].

Ce Talmud est notamment utilisé pour fournir des passages parallèles lors de l’étude du Talmud de Babylone.

 

Les traductions

Une traduction latine de 20 traités date du milieu du 18ème siècle (Biagio Ugolini, Thesaurus Antiquitatum Sacrarum, vol. 17-30, Venise, 1755-1765).

La traduction française de M. Schwab (depuis 1871) a été rééditée en 1969 (6 vol., Paris) [20]. Une traduction anglaise a été commencée : J. Neusner, The Talmud of the Land of Israël,  Chicago, depuis 1982. Des traités séparés sont également traduits (Ta’anit, Londres, 1918 ; Bikkourim, Londres, 1975). Une édition anglaise (Schottenstein) a commencé [21].

Quelques commentaires du Talmud de Jérusalem

Le Talmud de Jérusalem a été moins commenté que celui de Babylone [22]. Les commentaires les plus anciens qui nous sont parvenus, sont attribués à :

  • R’ Meschullam et à un disciple de R. Chémouel ben R’ Schnéour d’Évreux sur le traité Chékalim (13ème siècle). Ils pourraient être l’œuvre d’anciens tossafistes.
  • R’ Eliya ben Loeb Fulda (v. 1650-1720) a commenté 15 traités [23].
  • Moché Margolies (-1780 Lituanie), dit le Pné Moshé, a commenté l’ensemble du Talmud de Jérusalem (פני משה Pné Moshé, complément de מראה הפנים  Mare hapanim [24]).
  • R’ David ben Naphtali Fränkel ou David Hirschel Fränkel (v. 1704- 1762). Grand rabbin de Berlin il a complété le commentaire de R’ Eliya Fulda - son Korban ha-Edah a été publié en trois parties : Mo ‘éd (1743); Nachim (1757); Nézikin (1760). 
  • R’ Yé’hiel Mikhaël Epstein (Biélorussie 1829-1908), Mical hamayim 
  • le Gaon de Vilna a utilisé le Talmud de Jérusalem dans son commentaire sur le Choul’han ‘Aroukh.
  • Les récits du Talmud de Jérusalem furent réunis et commentés par R’ Shmuel Yaffe Ashkenazi dans Yaffe Mareh (équivalent du ‘Ein Ya’akob sur le Talmud de Babylone)[25].
 


[1] Première édition (Bomberg, Venise, 1523, d’après le manuscrit de 1289).  Editions en ligne : Makhon Mamré (2002), http://www.mechon-mamre.org    ou : http://www1.snunit.k12.il/kodesh/yer/yer.html; ou Makhon Yedid Nefesh (1987) de R’ Yehiel Bar Lev (http://www.yedidnefesh.com/yerushalmi/yerushalmi.htm 14 volumes publiés). Une traduction due à Moïse Schwab (depuis 1872) a donné lieu à la publication d’un CD-Rom en 2007 (Objectif-Transmission, Paris: http://www.objectif-transmission.org/articles.php?lng=fr&pg=35). 

[2]  Mesures prises par Constantin (4ème siècle) visant à paupériser et ostraciser les Juif. Plus tard, l’empereur romain d’Orient Théodose II (5ème siècle) destitua le Sanhédrin et interdit l'ordination des Rabbanim.

[3] Chou’’t Bahah (Halakhot guédolot ou  Halakhot richonot).

[4] Début de ‘Houln.

[5] Les opinions et commentaires de R’ Hananel sont reproduits sur la page-même des traités du Talmud babli (marge extérieure droite, se prolongeant le cas échéant sur la marge inférieure). Les commentaires de Rachi sont reproduits sur la marge intérieure du côté de la reliure, et ceux des Tossafistes se trouvent sur la marge extérieure.

[6] Strack H. L. & Stemberger G. (2007), pp. 250-252.

[7] R’ Yits’hak ben Jacob Alfasi ha-Cohen (1013 - 1103).

[8] Strack H. L. & Stemberger G. (2007).

[9] Strack H. L. & Stemberger G. (2007), p. 208.

[10] Parent et représentant en Orient de l’Empereur Constantin II (fils de Constantin le Grand).

[11] 1280-1355.

[12] Kaftor wapera’h (chap. 16, édition Luncz, Jérusalem, 1997, p. 280), cit. Strack H. L. & Stemberger G. (2007), p. 207.

[13] W. Bacher considère que l’indication de Rambam indique de R’ Yo’hanane a jeté les bases de la rédaction du T.J..

[14] Strack H. L. & Stemberger G. (2007), p. 207. Les auteurs indique que, dans le texte du T..J., « ici » signifie à Tibériade et que les « rabbins d’ici » sont distingués de ceux du Sud » ou « ceux de Césarée » (J.T. Chabbat XIII, 1, 14a cit. Strack H. L. & Stemberger G. (2007), p. 207).

[15]  Voir : B. Ratner (1967), Ahavat zion wéyéroushalayim, réimpression de l’édition de Vilna (1901-1917).

[16]  Voir : l’édition de M. Edelmann (1979), Early Hebrew manuscripts in facsimile, vol. III, The Leiden Yerushalmi, Part I.

[17]  Un manuscrit plus ancien annoncé comme étant daté de 1212 s’est avéré être un faux (bien que considéré comme authentique par S. Buber et publié par S. Friedlander 1907-8). Cette mystification incluait les prétendus traités perdus de l’ordre Kodachim du Talmud de Jérusalem - Strack H. L. & Stemberger G. (2007), p. 204.

[18]  Les manuscrits hébraïques brûlés à Paris en juin 1242 emplissaient 24 charrettes. R’ Hillel ben Samuel de Vérone a écrit à la fin du 13ème siècle que 1200 manuscrits ont été brûlés (mille deux cent et non 12000 comme cela a été indiqué). Voir : Colette Sirat, « Les manuscrits du Talmud en France  du Nord au XIIIe siècle », pp. 121-139 dans G. Dahan (dir., 1999), Le brûlement du Talmud à Paris: 1242-1244, Paris.

[19]  Voir la liste établie par Bacher (1906) et citée par Strack H. L. & Stemberger G. (2007), p. 205-6.

[20]  Elle serait sujette à caution selon Strack H. L. & Stemberger G. (2007), p. 222.

[21]  Par ailleurs, le texte des traités est accessible en ligne (www.mechon-mamre.org).

[22] Voir: Strack H. L. & Stemberger G. (2007), pp. 223-225.

[23] Zéraim, Chékalim, Amsterdam, 1710; Baba M., Baba Baba K, Francfort, 1742.

[24] פני משה  Amsterdam 1754 ; Voir תלמוד ירושלמי על נשים עם מראה הפנים ופני משה  (1756) http://www.hebrewbooks.org/19302;  Livourne 1770.

[25] Vienne 1590 ; Berlin 1725-26 (210 p.).

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