Le véritable itinéraire (sur la paracha Bechala’h)

Le véritable itinéraire

par Hillel Bakis *

Pour l'élévation de l'âme de R' Gérard Touati z’’l

Pour l'élévation de l'âme du Dr Serge Julien Mamou z''l

Examinons le premier verset de la paracha Béchala'h qui relate les premiers événements après la sortie d’Egypte. Les Hébreux retrouvent leur liberté après plus de deux cent dix ans de servitude en Egypte.

Le premier verset de cette paracha contient une négation [1]. Il est écrit :

וַיְהִ֗י בְּשַׁלַּ֣ח פַּרְעֹה֮ אֶת־הָעָם֒ וְלֹֽא־נָחָ֣ם ﭏהִ֗ים דֶּ֚רֶךְ אֶ֣רֶץ פְּלִשְׁתִּ֔ים   

« Hachèm ne les mena pas par la route de la terre des Philistins... » (Chémot 13, 17).

Notons que la formulation est négative. Cela peut sembler étrange. Lorsqu’on accède à la liberté (par exemple avec la victoire sur un oppresseur, ou une révolution contre un tyran), on passe d’une situation où tout était surveillé, interdit, à un monde où tout devient envisageable et possible. Le mot liberté est généralement associée à la libération des contraintes. On fait ce qu’on veut ! Mais la liberté, ce n’est pas l’anarchie. Si chacun fait ce qu’il veut, on risque le chaos. Comme le dit la maxime française : « la liberté de chacun s’arrête où commence celle d’autrui ».  

  La tournure négative que l’on trouve dans le premier verset de la paracha voit son sens renforcé par la nature-même de l’interdiction.

דֶּ֚רֶךְ אֶ֣רֶץ פְּלִשְׁתִּ֔ים

Hachèm interdit aux Hébreux d’aller « dans la route des Philistins ». Or, le mot hébreu פלשתים (félichtim) est construit sur la racine פלש. Une racine qui évoque l’idée d’ouverture comme on le voit avec les mots palouch (corridor, vestibule), filouch (passage ouvert), béfilouch (ouvertement, publiquement).  On apprend de là ce qu’est véritablement la liberté. Ce n’est pas faire tout ce que l’on veut. Ce n’est pas donner libre cours à ses pulsions, ce n’est pas soumettre autrui à sa propre volonté. Ce n’est pas aller partout où il serait théoriquement possible d’aller.

וְשָׁ֥בוּ מִצְרָֽיְמָה

On tomberait alors dans la tyranie, livré à ses passions ou asservi à plus fort que nous. C’est ce qu’indique le verset פֶּֽן־יִנָּחֵ֥ם הָעָ֛ם בִּרְאֹתָ֥ם מִלְחָמָ֖ה וְשָׁ֥בוּ מִצְרָֽיְמָה׃  « ..de peur qu’il [le peuple hébreu] ne retourne en Egypte », pays qui est le symbole de l’esclavage. La Torah nous met en garde : en fuyant l’Egypte, on risque de retourner en Egypte. En retrouvant la liberté, on risque de tomber dans un autre esclavage. Pour construire une liberté véritable, il est nécessaire de savoir refuser certaines possibilités par une discipline de vie[2]. Grâce à la promulgation des mitzvot et à leur pratique, l’être humain  peut rester orienter vers un chemin de vie.   

דֶּ֚רֶךְ אֶ֣רֶץ פְּלִשְׁתִּ֔ים

Lorsqu’on lit que Hachèm ne conduisit pas les Enfants d’Israël « par la route de la terre… » on comprend qu’il est question du choix d’un intinéraire. C’est le pchat (sens littéral) : le plus court chemin. C’est cet itinéraire qu’aurait indiqué Waze ou toute autre application GPS - si elles avaient existé à cette époque. Mais ces mots portent un autre niveau de sens : l’interdiction d’emprunter la « route de la terre » (דֶּ֚רֶךְ אֶ֣רֶץ) allusion au comportement ordinaire des nations. Compris comme ‘l’habitude du monde’, ces mots donnent au verset un tout autre sens : Hachèm ne conduisit pas les Enfants d’Israël d’une manière habituelle.  Le remez (sens allusif) est que le peuple d’Israël est différent des autres peuples. Sa liberté, doit être consacrée au respect des mitsvot dans le cadre fixé par la loi divine.

כִּ֥י קָר֖וֹב ה֑וּא

« Hachèm ne les mena pas par la route de la terre des Philistins car le pays des Philistins était proche. C’est le pchat (sens littéral). Mais le mot est compris dans une autre perspective par la tradition. C’est Hachèm qui est proche.

La lecture de ce premier verset au niveau allusif ne révèle pas l’interdiction d’un itinéraire. Il révèle un programme en trois points pour les Enfants d’Israël : ne pas suivre la conduite des nations, respecter la loi divine et savoir que Hachèm est toujours proche de Son peuple.


NOTES 

* Addition au chapitre 16,"Béchala'h" de notre série La voix de Jacob. 

[1] Gérard Touati z’’l a construit une dracha sur ce verset, dont nous nous sommes inspirés. Voir : Gérard Touati (2000), En commentant la Paracha. Compilation des parachioth parues dans Actualité juive, t. 2, Chémoth, A.J. Presse, Paris, pp. 89-91.

[2] Dans un contexte non religieux, on retrouve cette idée chez le philosophe genevois Jean-Jacques Rousseau (1712-1778): « l'impulsion du seul appétit est esclavage, et l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté ». Il précise : « Ce que l'homme perd par le contrat social, c'est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu'il peut atteindre ; ce qu'il gagne, c'est la liberté civile et la propriété de tout ce qu'il possède. » (Du Contrat Social, Livre I, chap. VIII).

(c) Hotsaat Bakish. 31 janvier 2021.