Calendrier juif

 

© Hillel Bakis,

La voix de jacob, 2013

 

Calendrier juif et répartition des sections hebdomadaires

de la Torah dans l’année: une coutume sépharade.

 

אִם־כֶּ֣סֶף ׀ תַּלְוֶ֣ה אֶת־עַמִּ֗י אֶת־הֶֽעָנִי֙ עִמָּ֔ךְ לֹֽא־תִהְיֶ֥ה ל֖וֹ כְּנֹשֶׁ֑ה לֹֽא־תְשִׂימ֥וּן עָלָ֖יו נֶֽשֶׁךְ׃ « Si tu prêtes de l'argent à quelqu'un de mon peuple, au pauvre qui est avec toi, ne sois point à son égard comme un créancier; n'exigez point de lui des intérêts » (Chémot 22, 24).

Par ce verset débutait, selon certaines traditions, une paracha intercalée entre celles de Michpatim et de Térouma. Lorsque l’année comporte un treizième mois [1], et que Roch Hachana tombe un jeudi, elle est dite Chénat ha’of  [2]. Aussi, certaines communautés, divisent le texte de Michpatim en deux sections lues sur deux semaines :

- la lecture de la première semaine commence au premier verset (Chémot 21,1) comme dans les autres communautés, mais elle se termine en revanche par כִּֽי־חַנּ֥וּן אָֽנִי׃ (Chémot 22, 26) ;

- la semaine suivante, la lecture publique commence trois versets plus haut (Chémot 22, 24), et se termine à la fin de la paracha Michpatim (Chémot 24-18). Cela alors que les autres communautés lisent la paracha suivante, Térouma.

Cette tradition est plus que millénaire. Elle s'enracine dans les coutumes de la ville de Barcelone: « Jusqu'au départ des Juifs d'Afrique du Nord, les villes de Tunis et d'Alger ont été les dernières à maintenir un minhag original, dont les origines remontent au début de l'âge d'or du judaïsme espagnol. Lors d'une année embolismique (de treize mois) dont les deux jours de Roch Hachana sont le jeudi et le vendredi, on divise la paracha Michpatim en deux » pour la lire en deux chabbats, tandis que Mattot et Mass'é seront jumelées et lues en un seul chabbat [3].

 

Le calendrier juif

D’une manière générale, on sait que la bonne pratique du Judaïsme dépend étroitement de la connaissance et du respect du calendrier. Pour comprendre la tradition relative à la division des lectures hebdomadaires de la Torah, il est donc nécessaire d'avoir des notions sur le calendrier juif.

L’année solaire ne compte pas exactement 365 jours (365,25 jours environ – soit  365 jour et 6 heures). Sans correction, des décalages importants se produiraient dans le temps et la saison du printemps ne correspondrait pas, par exemple, aux mois du printemps. Ainsi, le calendrier civil ajoute un jour tous les quatre ans. Les 6 heures de chacune des 4 années s’ajoutent pour ajouter un jour supplémentaire à la quatrième année dite bissextile : de la sorte, l’année grégorienne moyenne dure 365,2435 jours[4].

Le calendrier hébraïque, est lunisolaire : fondé sur le cycle lunaire, mais il tient cependant compte des saisons (cycle du soleil).  Ainsi [5], les fêtes ne peuvent tomber à des dates variables dans l’année : il faut que Pessa’h tombe au printemps.

 

Le calendrier hébraïque [6], est composé de deux types d'années :

- des années normales de 353, 354 ou 355 jours; qui contiennent 50 ou 51 chabbats (en fonction de la date de Roch Hachana). En principe, l’année juive comprend 12 cycles lunaires (mois) d’environ 29 jours et demi chacun – 29 jours et 793/1080  parties d'une heure ou 'halaqim  (soit plus que 3/4 d'heure) [7]. Cela donne à l’année 354 jours (29,5 x 12).

Le calendrier hébraïque est lunaire pour les mois mais solaire pour les années. Il est calculé « depuis des millénaires sur la durée de la rotation de la lune autour de la terre en 29 jours et demi. Cela en dit long sur la science ancestrale transmise dans le judaïsme » [8]. Les mois ne peuvent évidemment compter des demi-journées (29 jours et demi). Aussi, les Sages ont-ils décidé de fixer des mois de 29 ou de 30 jours [9].

 

- les années mé'oubarot (embolismiques) - certaines années[10] comptent plus de mois de 29 jours que de jours de 30 jours [11] ; au total, elles comptent 383, 384 ou 385 jours. Une année embolismique est donc plus longue qu’une année normale (elles contiennent 54 ou 55 chabbats). La différence entre l’année juive (lunisolaire) et le calendrier grégorien (solaire) est de onze jours, soit 209 jours pour un cycle de 19 ans. Cet écart devait être corrigé, et c’est ce que fait le calendrier hébraïque qui tient compte des saisons :שָׁמוֹר֙ אֶת־חֹ֣דֶשׁ הָֽאָבִ֔יב « Garde le mois du printemps… » כִּ֞י בְּחֹ֣דֶשׁ הָֽאָבִ֗יב הוֹצִ֨יאֲךָ֜ יְיָ ﭏהֶ֛יךָ מִמִּצְרַ֖יִם « car c’est au printemps que Hachèm t’a fait sortir d’Egypte… » (Débarim 16,1) [12]. Après le mois d’Adar, on ajoute donc un mois supplémentaire : Adar II juste avant Nissan [13]. Cela arrive sept fois dans un cycle de 19 ans [14] : un mois de Adar II est ajouté environ tous les trois ans (cela se fait aux années 3, 6, 8, 11, 14, 17 et 19 du cycle) [15]; la différence entre une telle année et l’année ordinaire est de 30 jours [16]. Pour quelle raison ce cycle a-t-il été fixé  à 19 ans ? Etait-ce une nécessité du point de vue des ajustements à faire en vue de la fixation d’un calendrier exact ? Non car d’autres alternatives se présentaient [17]. Notons que ce nombre premier (divisible uniquement par lui-même), a une signification astronomique découverte au 18ème siècle par un astronome anglais.

Ces remarques sur le calendrier hébraïque montrent la qualité des principes ayant présidé à son établissement en regard des observations astronomiques de la science moderne à partir du  18ème siècle!

 

Calendrier et lecture de la Torah

La Torah est lue en totalité pendant une année, de sim’hat torah à sim’hat torah de l’année suivante. Elle est découpée en 54 sections hebdomadaires Et non en 52 sections ce qui aurait été le cas si l’on avait suivi le nombre de semaines de l’année solaire. Chaque fois qu’un Yom Tov correspon d à un chabbat, la section hebdomadaire est remplacée par la lecture d’un extrait de la Torah, indiqué pour ce jour. Aussi, l’année compte-t-elle, selon le type d’année, entre 47 et 54 chabbats où est lue la paracha hebdomadaire. Par ailleurs, d’autres impératifs viennent ajouter leurs contraintes à celles découlant de la longueur variable des années juives : la paracha Tsaw doit être lue avant Pessa'h ; Bamidbar avant Chabou'ot ;  Débarim avant Tich'a Béab (Ticha béav) [18].

 C’est pour faire face à toutes les situations résultant du type d’année que la Torah est découpée en 54 sections hebdomadaires et que certaines peuvent être lues le même chabbat en cas de besoin (on a l’usage de jumeler si besoin est : Wayakhel-Pékoudé, Tazria'-Métsora', A'haré Mot Kédochim, Béhar-Bé'houkotaï, 'Houkat-Balak, Mattot-Mass'é, Nitsabim-Wayélekh). Telle est la tradition la plus courante (Choul’hane ‘aroukh). Une difficulté particulière apparaît dans les communautés dont la coutume est de ne jamais séparer Mattot et Mas'é [19], ce qui supprime une souplesse [20]. Le nombre de chabbats où l’on doit lire une section hebdomadaire de la Torah (hors jours de fêtes) peut excéder nombre de sections de la Torah disponibles (simples ou jumelées) [21].

Cette coutume est fondée sur la volonté de ne pas enfreindre un principe halakhique : lors d’une année embolismique, la paracha Métsora’ doit être lue avant Pessa’h et Bamidbar avant Chabou’ot [22].Lorsque le 2ième jour de Chabou’ot (ou le 8ième jour de Pessa’h) tombe chabbat, les communautés d'Israël sont décalées vis-à-vis de celles de la Diaspora : on lit la paracha de la fête en dehors d’Israël, et la paracha de la semaine en Israël. On ne pourra rattraper qu’avec la double paracha suivante.

Avant la parution du Choul'hane 'Aroukh, certaines communautés (Barcelone de l’âge d’or, puis Tunis, Alger), ne se sont pas résolues à séparer Mattot et Mas'é - même rarement. Pour éviter cela, elles ont adopté une autre solution : la  division de la paracha Michpatim et sa lecture en deux parties deux chabbat successifs [23]. Aujourd'hui, c'est la solution du Choul'hane 'Aroukh qui est adoptée par la quasi-totalité des communautés juives [24].


[1] Adar 2 ; Année embolismique (mé’oubéret). Voir : S. Darmon, Le livre de nos coutumes (halakha d’Alger), Jérusalem, 1995, pp. 306-308.

[2] H’WF : pour le Jeudi, cinquième jour de la semaine correspondant à  Roch Hachana ; ‘ pour le ‘ayin de ‘Ibour (dans une année embolismique) ; waw pour wéélé hamichpatim (nom de la paracha lue dans ce cas); F pour Palig (divisée/est séparée). S. Darmon, 1995, pp. 306 et R’ D. Settbon (2006), T.1., p. 215.

[3] R’. Settbon D. ‘Alé hadass, 2006, pp. 215-221.

[4] Le calendrier, quoique satisfaisant, dérive de 31 jours tous les 100000 ans.

[5] Le calendrier musulman, purement lunaire, dérive de 10,87512 jours par an : un mois d’été se retrouve en hiver 16 ans plus tard. Voir : Ouanounou Jacob (2008), La clef des Temps. Une lecture biblique de la science. Paris, p. 41.

[6] Hillel II, Président du Sanhédrin, est le créateur du calendrier hébraïque fixe (milieu du 4ème siècle) ; il a sanctifié par avance les nouveaux mois. Hillel II est aussi nommé Hillel l’Amora, ce qui le distingue bien de Hillel l’Ancien (ou Hillel I) qui était un Tana.

[7] Le molad est est le début officiel du nouveau mois. Il correspond à une période du mois où la lune est invisible lorsqu’elle tourne vers la terre sa face obscure (« entre la fin de la vision de la lune et sa nouvelle vision, il se passe environ deux jours, un avant le molad et un après » (R’ Dufour, Modia’).

[8] R’ Dufour, Modia’, mars 2009.

[9] Entre deux molad : 29 jours, 12 heures, et 44 minutes, 3 secondes 1/3 (R’ Dufour, Modia’).

[10] Un mois de 29 jours   s'appelle "mois défectif" ('Hodech 'hassér, littéralement :‘manquant’) Un mois de 30 jours   s'appelle "mois plein" ('Hodech malé).  Les mois de durée différente sont alternés en principe mais en tenant compte: de la fixation de Roch hachana qui ne doit pas correspondre à des 1er, 4ème et 6ème jours de la semaine ; de la durée de l’année (12 ou 13 mois).

Dans les années embolismiques (mé'oubarot), certains mois sont toujours de 30 jours: Nissan, Sivane, Av, Tichri, Chévat et Adar I. Dans les années embolismiques, certains mois sont toujours de 29 jours : Iyar, Tamouz, Eloul, Tébet, Adar II. Les mois de 'Hechvan et Kislev sont variables : s’ils ont tous deux 29 jours, l'année est dite 'hasséra ; s’ils ont tous deux 30 jours, l'année est dite chéléma ; s’ils ont l'un 29 et l'autre 39 jours, l'année est dite késidra.

Le Sanhédrin décidait l’ajout de ce mois d’Adar II en fonction d’observations astronomiques ou agricoles. En 358 de l’ère courante, Hillel II, président du Sanhédrin, instaura un calendrier fondé sur les travaux de l’Amora Shmouel  (env. 250) : fondé sur des calculs mathématiques et astronomiques, il rendait superflu le recours aux témoignages oculaires. « Finalement, sur la base de ce calendrier systématique… le calendrier hébraïque correspond à un cycle complet de 247 ans correspondant à la valeur du mot hébraïque רמז  (allusion). En prenant en compte ce cycle complet, l’année hébraïque correspond en moyenne à l’année tropique, et le mois hébraïque moyen, de 29 jours 12 heures 44 minutes et 3 secondes, correspond rigoureusement au mois lunaire », Ouanounou J. (2008), La clef des Temps. Une lecture biblique de la science. Paris, pp. 43-44.

[11] Talmud Babli, Méguila, Ed. Safra, p  5a3, Voir note 22.

[12] Tichri (automne),  Tévét (hiver), Nisane (printemps),  Tamouz (été).

[13] Ce  sera alors non plus la paracha Tsaw mais Métsora' qui sera lue avant Pessa'h.

[14] Arrière plan d’une action symbolique de Ya’akob devant ‘Essaw : וַיִּשְׁתַּ֤חוּ אַ֨רְצָה֙ שֶׁ֣בַע פְּעָמִ֔ים עַד־גִּשְׁתּ֖וֹ עַד־אָחִֽיו׃  « sept fois jusqu’à ce qu’il ait atteint son frère » (Béréchit 33,3)  -  sept prosternations de Ya’akob allant à la rencontre de ‘Essaw  dans wayichla’h (R’ E. Munk, Kol hatorah, sur Béréchit 33,3).

[15] Pour comprendre ces notions, il faut avoir en tête que la Terre est légèrement aplatie aux pôles et renflée au niveau de l'équateur. Il en résulte un jeu de forces mettant en jeu l'attraction du soleil, l'attraction de la Lune et la force centrifuge due à la rotation de la Terre. On sait le rôle joué par l’attraction lunaire sur les marées. La Lune exerce aussi des forces sur le bourrelet équatorial et fait subir à l'axe de rotation de la Terre un petit mouvement d'oscillation périodique de part et d’autre de la position d’équilibre correspondant au cercle de précession (autour de sa position moyenne): on appelle cela la ‘nutation’. D’Alembert explique : « L’étendue et la quantité totale de cette nutation est de 18 secondes…  et sa période répond exactement à celle… des points d’intersection de l’orbite Lunaire avec l’Ecliptique… qui se meuvent… achevant leur révolution en à peu près 19 ans. Or, M. Bradley a remarqué que pendant ce temps, l’axe de la Terre s’éloigne du plan de l’écliptique d’environ 18 secondes, et s’en rapproche ensuite de la même quantité pour revenir à sa première place » Jean d'Alembert (1749), Recherches sur la précession des équinoxes et sur la nutation de l’axe de la Terre dans le système newtonien, Paris, pp. XXV-XXVI.

[16] Notons que la tradition juive affirme par ailleurs qu’il existe un grand cycle solaire (ma'hzor gadol)  comptant 28 ans de 365,25 jours, soit 10.227 jours. Mais ce cycle solaire n’a pas de conséquences pratiques sur l’établissement du calendrier. D’après nos sages, la création du soleil a eu lieu au début de la soirée du quatrième jour de Nissan. Chaque année qui suit, le soleil reprend sa position un jour et quart plus tard, puisque 52 semaines font 364 jours. Chaque année, le soleil prend la même position qu’à sa création  (si on considère sa révolution comme parfaitement régulière), un jour et 6 h. plus tard que l’année précédente « jusqu’à ce qu’au bout de vingt-huit ans, ce soit à nouveau au début de la soirée du mercredi, comme l’année de la création du monde (puisque 28 fois 1 jour et quart = 35 jours = cinq semaines) » R’ Meir Mazouz (2009), « Introduction », La bénédiction du soleil, Yéchiva Kissé Ra’hamim, pp. 5-6. A chaque début de cycle de 28 ans, on prononce la bénédiction « birkat ha’hama »: ce fut le cas le 14 Nissan 5769 (2009). Cela se reproduira les 23 Nissan 5797 (2037); 2 Nissan 5825 (2065): 12 Nissan 5853 (2093)…   

[17] On aurait pu ajouter 7 fois un mois de 29 jours dans un cycle de 18 ans ; ou 7 fois dans un cycle de 20 ans en augmentant le nombre d’années abondantes ; ou 6 années embolismiques tous les 18 ans (J. Ouanounou, 2008,  La clef des Temps. Une lecture biblique de la science, p. 45).    

[18] R’. Settbon D. ‘Alé hadass, 2006, T. 1, p. 216-7.

[19] Suivie voilà plus de 1000 ans par la communauté de Barcelone, puis par les communautés de Tunis et d'Alger jusqu’au 20ème siècle. Voir : R’. Settbon D. ‘Alé hadass, 2006, T. 1, p. 219.

[20] Un usage tunisienne veut que l'on souhaite aux jeunes mariés d'être unis comme les parachas matot et mas'é (ce qui s'explique parce qu'elles sont toujours inséparables).

[21] Ce cas se produit dans le cas d'une année embolismique où Roch Hachana tombe le sixième jour de la semaine (jeudi soir-vendredi)  (cas des années ha’of : 5744/1984, 5768/2008, 5771/2011, 5774/2014 - R’ D. Settbon, ‘Alé hadas, 2006, p. 220). 

[22] Suivie voilà plus de 1000 ans par la communauté de Barcelone par exemple, ainsi que par les communautés de Tunis et d'Alger au 20ème siècle. Voir : R’. Settbon,‘Alé hadass, 2006, p. 219.

[23] Pendant six mois (de Michpatim à Mattot-Mas'é), ces communautés sont en décalage.

[24] La coutume du judaisme séfarade nord-africain est differente en quelques points de certaines halakhot tranchées par le Choulhan 'Aroukh. Mais son auteur, nous a averti (Choulhan 'Aroukh, introduction ; une des ses Responsa du livre Avkat Rohel ) que "ses lois ne peuvent annuler ou être en contradiction avec des coutumes les ayant précédées; tel est le cas de nombreuses ordonnances des Sages Rishonim d'Espagne et  d'Afrique du nord". R' Z. Zermati א’’שליט, toratemet.net (consult. sept. 2011).

Autre dracha : « La lecture des parachas jumelles » voir: 42-Matot.

 

 

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