Le chofar qui a sonné sur le Mont du Temple en juin 1967
Par Hillel Bakis[1]
Cette histoire a circulé sur Internet mais elle reste peu connue[2]. Elle est si impressionnante qu’elle mérite d’être racontée de nouveau et largement partagée. Elle nous parle d’un chofar dont le son s’éleva haut et clair dans la ville de Tlemcen (Algérie) en 1897. Or, lors de la libération du Mont du Temple à Jérusalem en juin 1967, c’est le son de ce même chofar qui retentit dans la ville sainte. Quelles sont les circonstances qui ont mené à cette situation étonnante ?
L’histoire commence à Tlemcen, en Algérie, un peu avant la fin du dix-neuvième siècle. Tlemcen, située à proximité du Maroc, a acquis une grande réputation du fait de la qualité de sa vie juive et de ses rabbins. Comme Fès, Constantine et Tunis, on l’appelait « une petite Jérusalem » ou « la Jérusalem du Maghreb »[3]. C’est la ville où le Saint, Rabbi Ephraïm Enqaoua s’était établi vers 1400 et dont le pèlerinage attirait des foules chaque année le 33e jour du Omer.
Dans tous les pays du monde où vivent des communautés juives, la sérénité n’est pas acquise une fois pour toutes ; l’histoire connaît des hauts et des bas, des périodes fastes (plus ou moins longues), mais aussi des années d’insécurité, de persécutions débouchant quelquefois sur l’expulsion. A Tlemcen aussi, la vie suivait son cours plus ou moins difficilement en fonction de l’attitude fluctuante des musulmans. Au moment où commence ce récit, les relations avec les habitants arabes s’étaient dégradées, une fois de plus. La ville était tombée aux mains d’une secte islamique extrémiste dont les adeptes devenaient de plus en plus agressifs contre les Juifs. La situation ne pouvait durer. Tout le monde savait qu’un vent de folie pouvait éclater un jour prochain, jetant dans les rues et les maisons juives des tueurs impitoyables. Rien ne pouvait alors les arrêter[4]. Le massacre de Tétouan au Maroc, un siècle auparavant, était encore dans toutes les mémoires : familles sauvagement assassinées, bibliothèques incendiées.
Rebbi Haïm Bliah, dirigeant spirituel de la communauté âgé de 61 ans à cette époque, organisa une rencontre avec les dirigeants musulmans extrémistes. Accompagné de Rebbi David Hacohen Scali, son collègue âgé de 36 ans, et de nombreux juifs, il s’approcha de la foule menaçante. Haussant la voix, il se mit à menacer les dirigeants musulmans aussi bien que la populace. Cette audace insolente était la dernière chose à laquelle s’attendaient leurs interlocuteurs. Pour eux, cette rencontre était une faveur qu’ils accordaient à des dhimis, des infidèles, des inférieurs. Or, sans trop comprendre pourquoi, ils restaient là, sans réactions devant une invraisemblable provocation. Soudain, le Rav Bliah saisit son chofar et, le portant à ses lèvres, il en sortit un son qui se prolongea longtemps avec une grande puissance. Lorsqu’il éloigna la corne creuse de sa bouche, il s’écria avec autorité : « Mettez fin à vos agressions contre les Juifs. Sachez que Jérusalem ne vous appartient pas. Dans 70 ans, Jérusalem et le Mont du Temple retourneront aux Juifs. Un gouvernement juif souverain exercera alors son pouvoir sur toute la Terre d’Israël ». Paradoxalement, cette audace n’entraîna aucune colère de la part des musulmans. Il faut dire que, vêtu de son costume de dayan, enveloppé de son talith, Rebbi Bliah avait fière allure. L’autorité quasi surnaturelle qui s’était dégagée de lui permit un retour au calme miraculeux.
Ces paroles ont été prononcées le 26 du mois de Iyar de l’année juive 5657 (1897) quelques mois avant que Theodor Herzl ne convoque le Premier Congrès sioniste à Bâle (Suisse).
Une dizaine d’années plus tard, Rebbi Bliah offrit son chofar à Rebbi David Hacohen Scali qui devait quitter Tlemcen pour ses nouvelles fonctions de président du tribunal rabbinique d’Oran. Trente ans plus tard, lui-même offrit ce chofar à son gendre R’ David Ibn Khalifa. Or, lors d’un de ses voyages à Jérusalem, ce dernier eut l’occasion de rencontrer le grand rabbin de la ville sainte, Rav Pardès et R’ Goren que l’Etat d’Israël avait nommé chef du rabbinat de l’armée. Il leur raconta l’histoire de ce chofar pendant les évènements de Tlemcen et la prophétie de Rebbi Bliah. Rav Goren en fut si impressionné que Rebbi Ibn Khalifa qui emportait toujours ce chofar avec lui décida de le lui offrir. Très ému, le rabbin de Tsahal annonça qu’il le confierait à son beau-père, le Nazir David Hacohen, qui depuis l’invasion arabe de la vieille ville avait fait le vœu de ne pas sortir de son domicile jusqu’à sa Libération.
Pendant la guerre des Six Jours, la jeep du R’ Goren qui se dirigeait vers Jérusalem prit feu, touchée par un obus[5] et son chofar personnel disparut. Persuadé qu’il devrait bientôt annoncer la Guéoula au peuple d’Israël, il ordonna à son aide de camp de lui apporter le chofar dont il avait confié la garde au R’ David Hacohen.
C’est de ce chofar que sonna R’ Goren entouré de parachutistes et un son clair et pur s’éleva sur le Mont du Temple. Soixante-dix ans après avoir été annoncée dans des circonstances dramatiques, la prophétie de R’ Bliah venait de s’accomplir : le retour à Jérusalem, réunifiée pour l’éternité.
(c) Hotsaat Bakish, 2022. Mis en ligne septembre 2022.
NOTES
[1] Récit paru dans Futé Magazine, n° 315, juin 2022. Hillel Henry Bakis est l’auteur d’une anthologie de Contes et récits juifs d’Afrique du Nord (Le fil du temps, 2000 ; Les chemins du Ciel, 2005).
[2] Voir : https://www.jpost.com/Local-Israel/In-Jerusalem/The-man-who-sounded-the-shofar, 2007; R’ M. Chouraqui (2020), texte contenant des précisions fournies par le Dr Y. Charbit, paru sur jerusalem24.com.
[3] A. Parienti, Le pèlerinage du Rab, 6 p.
[4] Georges Bensoussan (2012), Juifs en pays arabes. Le grand déracinement, 1850-1975, Tallandier - 1088 p.. Et: https://laurentgandus.wordpress.com/2015/05/21/la-longue-liste-de-pogroms-anti-chretien-ou-anti-juif-en-terre-dislam-details/.
[5] Le 28 Iyar 5727 (1967).