Actualité de la construction de Mikvés

Actualité de la construction de Mikvés

par Eliyahou Bakis 

De la plus haute antiquité à nos jours, les communautés juives ont veillé à disposer de mikvés. Les dangers, les difficultés financières ou techniques liés à la construction et à l’utilisation d’un mikvé n’a jamais découragé le peuple juif qui continue à rechercher la pureté et le meilleur potentiel spirituel possible pour les générations suivantes*. Lorsque des archéologues veulent prouver la présence d’une population juive sur un site, ils essayent avant tout de découvrir des vestiges de mikvés. Loin d’être lié uniquement à l’archéologie, le sujet de la construction de mikvés (dans la littérature rabbinique comme sur les chantiers) est plus que jamais d’actualité, comme nous allons vous le présenter dans les lignes suivantes.

 

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il existe encore de nos jours, même en Israël, des endroits sans mikvé (ou avec un mikvé dégradé qui a perdu son statut étant devenu non conforme halakhiquement). Jusqu’à la construction du mikvé de Séoul (République de Corée du Sud), les femmes devaient se rendre en Chine ou au Japon, ou bien, à la belle saison, attendre une heure tardive pour que baigneurs et promeneurs désertent les plages [1].

 

Pour remédier à cela plusieurs solutions ont été envisagées, certaines avortées et certaines réalisées concrètement.

 

Une solution non retenue : un mikvé ambulant !

Afin de répondre aux besoins de femmes habitant dans des régions sans mikvé, le Rav ‘Hanania Yom-Tov Lipa Deutsch [2], qui contribua à la construction et à la réhabilitation d’un grand nombre de mikvés en Amérique, se pencha sur la question de la cacheroute d’un mikvé qui serait construit sur un véhicule [3]. L’un des arguments en faveur d’un tel projet se trouve dans le Talmud (Chabbat 35a) qui indique que le puits de Miriam était un mikvé ambulant qui suivit les enfants d’Israël dans le désert [4]. Rachi note qu’il était possible de s’y tremper [5].

Quoi qu’il en soit, cette étude, bien qu’intéressante en soi, reste à notre connaissance propre au domaine de l’étude théorique. Les grandes oppositions halakhiques sur la cacheroute d’un mikvé déplaçable (et peut-être également les difficultés techniques) n’ont pas rendu possible la réalisation de ce projet. Toutefois cette recherche de solutions halakhiques valables et pratiques prouve l’exploration par le  corps rabbinique de questions originales afin de répondre aux besoins matériels et spirituels des fidèles (et même lorsqu’ils habitent loin des centres de la vie juive).

 

De nos jours, cela n’a pas changé ; des importants organismes religieux se lancent dans la construction de mikvés dans le monde entier.

 

Construction de mikvés communautaires tout autour du globe

De nos jours, la construction de mikvés est assurée de plusieurs façons. Bien souvent, les communautés se préoccupent elle-même de la construction de leur propre mikvé. Des organismes (rattachés ou non à l’Etat) [6] peuvent parfois accorder leur aide et conseils aux projets de construction. De plus, de grands organismes religieux [7], réalisent d’ambitieux projets de constructions de mikvés afin de ne laisser aucun endroits (où se trouve une présence juive) sans mikvé. Ainsi, en 2016, un mikvé a été inauguré à Abuja, capitale du Nigéria, par le mouvement ‘Habad pour une communauté d’environ 1200 israéliens habitant le pays. Il semble que ce soit le premier mikvé de cette région d’Afrique [8]. En 2019, un mikvé a été inauguré dans les environs de Moscou, un « mikvé dont ont probablement rêvé tant de générations de femmes russes, risquant autrefois leurs vies pour pouvoir se tremper, parfois dans des eaux glacées, parfois dans l’obscurité de caves, longtemps dans le secret absolu, permettant ainsi à des générations bénies de voir le jour » [9].

Les coûts considérables de la construction de mikvés ne facilitent pas la tâche. Parfois un grand donateur offre le mikvé à sa communauté [10]. On rencontre bien souvent dans les synagogues d’Israël un délégué qui collecte des dons pour la construction d’un mikvé. Cela permet à chacun de contribuer à cette mitsva alors qu’il n’aurait pas eu les moyens de sponsoriser la construction dans son intégralité. Quoi qu’il en soit notre génération est « bien lotie » dans ce domaine, les mikvés étant beaux, propres et disposant d’eau chaude. Il reste malgré tout du travail aux organismes ayant pris sur eux la mission de construction des mikvés afin d’éviter aux femmes juives des déplacements longs et parfois coûteux afin de se rendre au mikvé le plus proche.

 

Une tendance actuelle : la construction de mikvés privés

Un certain nombre de particuliers commandent des constructeurs spécialisés afin de construire un mikvé privé [11] dans leurs jardin (en creusant dans le sol) ou sur leurs toits notamment [12]. Toutes les solutions conformes sont trouvées afin de permettre la réalisation des projets [13]. Ces constructeurs s’entourent d’une autorité rabbinique spécialisée qui leur octroie un certificat de cacheroute [14]. Un mikvé privé est évidement une solution en période de fermeture des mikvé, notamment lors d’une épidémie comme celle de la corona (Covid-19). Toutefois malgré cette tendance à la hausse, cela n’est pas à la portée de tous (il faut être propriétaire d’un terrain ou d’une maison ; il faut obtenir les autorisations des responsables municipaux ; il faut pouvoir faire face à d’importants coûts de construction et d’aménagement).

 

Notons que les lois de construction et d’entretien d’un mikvé étant complexes [15], il faudra veiller à ne faire construire et à se rendre uniquement dans un mikvé agréé par une autorité rabbinique reconnue pour sa connaissance des lois propres à la construction de mikvés et sa piété [16].

 

(c) אליהו בקיש, Jérusalem, 4 novembre 2020

&

(c) Hotsaat Bakish.

Mise en ligne: le 9 novembre 2020, à Kiryat Ata, Israël

 


NOTES 

* Pour  une introduction aux lois juives sur la pureté familiale et à leur importance, voir notre ouvrage: "La Couronne de son mari.  Sur l’importance du respect des lois de pureté familiale",  EBook, juillet 2020. Makhon R’ Yécha’ya Bakish zTs’’l. Editions Bakish. Kiryat Ata (Haifa District) , 116 p.

[1] Source : site www.hassidout.org/coree-du-sud-inauguration-du-tout-premier-mikve-sur-la-peninsule-coreene/ article du 8 avril 2019 ; consultation novembre 2020.

[2] Président de tribunal rabbinique (העלמעץ ,  בקליוולאנד, Cleveland, Etats-Unis), il est l’auteur du Taharat yom tov en vingt volumes et d’un livre sur le traité de Mikvaot. Les plus grands décisionnaires ne tarissaient pas d’éloges à propos du Rav Deutsch en le qualifiant de « colonne de Pureté » et de « faiseur de prodiges » (Chout Chevet Halévi vol. 2 siman 103) et de « héros vaillant » (Chout Léhorot natan vol. 2 siman 76) ou encore, en le décrivant comme quelqu’un « qui se dévoue corps et âme pour répandre la sainteté autour de lui, pour la construction de mikvés en Amérique » (Chout Igerot Moché, vol. 5 siman 43).

[3] Comme mentionné dans Daf ‘al ha-Daf (Talmud de Babylone, Traité Chabbat 35a).  והאדמו"ר מהעלמעץ זצ"ל שהעמיד ותיקן הרבה מקואות ברחבי ארה"ב, רצה לתקן מקוה נייד, דהיינו מקוה בתוך מכונית שתיסע ממקום למקום, ודן הרבה בספרו טהרת יום טוב בסוגיא זו דמעין המיטלטל.

[4] Le puits de Miriam. Dans le Talmud (T. B. Ta’anit 9a) il est mentionné que lors de leurs pérégrinations dans le désert pendant quarante ans, les enfants d’Israël disposaient d’un puits. D’après la Tossefta (Souka 3,11) il ressemblait à une passoire (comme un rocher avec un grand nombre d’orifices d’où l’eau jaillissait). A chaque étape, le rocher se postait devant la tente d’assignation et l’eau commençait à jaillir lorsque les princes des tribus arrivaient. Chacun d’entre eux, à l’aide de son bâton creusait un sillon pour permettre à l’eau d’arriver dans le camp de sa tribu. Ce puits est appelé « puits de Miriam » car c’est par le mérite de Miriam que ce miracle apparut [dans T. B. Baba metsi ‘a 86b il est mentionné que c’est par le mérite d’Avraham, toutefois voire le commentaire du Maharcha qui répond à cela]. A leur entrée en Israël le puits de Miriam se jeta dans la mer (voir T. B. Chabat 35a). Certains disent qu’on peut le voir dans la Méditerranée lorsqu’on se trouve en haut du Carmel alors que selon d’autres le puits se trouve dans le lac de Tibériade (Rachi sur Bamidbar 21, 20). Les eaux du puits de Miriam étaient tellement abondantes qu’une mariée qui quittait la tente de son père pour se rendre chez son mari le faisait en bateau (Yalkout chim’oni sur Téhilim, remez 628). De plus l’eau du puit avait des vertus médicinale et spirituelles : elle guérissait les malades (Midrach Vayikra raba 22, 2 et Tan’houma parachat ‘houkat ; et Rama sur Choul’hane ‘aroukh, Ora’h ‘hayim, 299, 10) et elle purifiait les âmes afin de permettre une haute spiritualité (Yalkout chim’oni sur Téhilim - remez 628 : Avant de boire du puit les enfant d’Israël se demandaient si D.ieu était à leur coté alors qu’après avoir bu, leur niveau de foi en D.ieu les a poussé à dire « na’assé vénichma’ » ; voir également le livre du ‘Hida Chem hagedolim (Ma’arekhete gedolim, ot 8) au nom du Rabbi ‘Hayim Vital qui raconte : au début de ses études chez le Ari zal, ce dernier l’emmena au lac de Tibériade et lui donna à boire de l’eau du puits de Miriam afin qu’il puisse comprendre ses enseignements).

[5] Toutefois Rachi limite sa remarque en notant également que ce puits était une exception : lui seul avait le statut de source déplaçable. Certains relevèrent que Rabeinou Tam (dans Tossfot Békhorot 35b-36a) qui posa pourtant clairement la question du lieu de tévila des enfants d’Israël dans le désert et ne mentionna pas le puits de Miriam (voir Chout Léhorot natane vol. 2 siman 76).

[6] Comme le consistoire, les Mo’atsot ou le ministère des cultes en Israël (voir par exemple www.gov.il/he/departments/topics/mikve) qui accorde une fois par an des aides aux différentes localités ayant besoin de construire leur mikvé.

[7] Tels que le Centre national israélien pour la pureté familiale (www.taharat.org.il), l’organisme Taharat habayit (www.mikvaot.org.il), le mouvement ‘Habad loubavitch de par le monde (voir par exemple les centres ‘Habad du Québec www.jquebec.com et de Chypre www.chabadcyprus.com ou encore www.lubavitch.com) - consultation novembre 2020.

[8] En dehors de l’Afrique du Nord et de l’Afrique du Sud. Voir : Jerusalem Post (et JTA), 7 mai 2016. https://www.jpost.com/Diaspora/Chabad-rabbi-building-1st-mikvah-in-West-Africa-in-Nigeria-453360

[9] 2 juillet 2019, https://www.chiourim.com/un-nouveau-mikve-inaugure-en-russie/.

[10] Comme cela fut récemment le cas en Russie dans la ville de Lubratzi aux environs de Moscou où le chef de la communauté a offert le mikvé (source www.chiourim.com/un-nouveau-mikve-inaugure-en-russie/, - consultation novembre 2020.

[11] La littérature rabbinique témoigne de l’existence de mikvés privés et des questions qu’ils ont posées. Voir par exemple Chout Lévouché Mordekhay (sur ‘Hochen michpat siman 12 Mahadoura kama) « Une communauté a-t-elle le droit de construire un mikvé alors qu’un particulier l’a déjà fait et que les droits d’entrée versés par les utilisateurs lui assurent une partie de sa parnassa » ? Voir également dans le Chout Betsel ha’hokhma (vol. 2 siman 34) qui traite du sujet « A-t-on le droit de construire un mikvé privé chez soi sans craindre de transgresser le testament de R’ Yéhouda Hé‘hassid siman 18 qui interdit de construire chez soi un bain (mer’hats) » ?

[12] Comme mentionné dans le Rama sur Yoré dé’a 201, 7.

[13] Source, site du constructeur de Mikvés "חברת ש.ג.מ." qui a réalisé des mikvés en Corée du sud, à l’hôtel King David de Prague, au Beth ‘habad de Bangkok, à Oslo, en Pologne, sans compter les dizaines de mikvés construits en Israël et à Ouman (Ukraine) outre des mikvés privés.

[14] Le Chout Léhorot natane (vol. 2 siman 76) réagit à l’annonce d’un constructeur prétendant pouvoir construire un mikvé cacher en un seul jour (traduction libre) : « On ne m’a pas expliqué les détails de construction de ce mikvé et comment ils arrivent à éviter qu’il ne soit pas impropre. On ne peut en effet se tremper dans un ustensile, ni dans de l’eau puisée, … il est donc difficile de savoir s’il s’agit d’une arnaque ou non. Toutefois, même en admettant qu’il serait possible de construire un tel mikvé tout en respectant les exigences halakhiques, la publicité faite par ce constructeur dans un but lucratif, sans avoir au préalable reçu de garantie de cacheroute des autorités rabbiniques compétentes en ce domaine est blâmable. Comme si l’on pouvait se servir de la Torah de façon libre afin de faire des bénéfices ! A D.ieu ne plaise que la construction des mikvés tombe aux mains de simples commerçants n’ayant aucune connaissance dans ce domaine. Seuls les Rabbins, décisionnaires en ce sujet, sont aptes à statuer de la cacheroute d’un mikvé ». Le chout Min’hat Yts’hak (vol. 5 siman 93) a tranché en ce sens au sujet d’une fabrique de mikvés livrés prêts et non construit sur place (traduction libre) : « J’ai personnellement constaté des cas de mikvés construits initialement selon les exigences halakhiques et laissés par la suite entre les mains de personnes n’étant pas religieusement habilitées à la rénovation de mikvés et qui ont, de leurs mains, rendu non-cacher ces mikvés en voulant les réparer. De plus ils ne connaissaient absolument pas les lois de remplissage d’un mikvé. Pour cela en laissant aux industriels la construction de mikvés cela créera une concurrence commerciale qui débouchera à la longue sur une fabrication de mikvés impropres d’après la halakha. » Voir également Cha’aré Mikvaot (page 386) au nom du Chout Bar livay (Choul’hane ‘aroukh, Yoré dé’a, siman 33) où il est énoncé qu’un Rav a le droit de rendre impropre un mikvé construit par un particulier sans supervision rabbinique.

[15] Choul’hane ‘aroukh Yoré dé’a chapitres 201 et 198 (halakhot 29 31 33 et 36) ; Voir également les livres suivants : Mivné mikvaot véhekhcheram du Rav David Mintsberg édité par le Centre national israélien pour la pureté familiale, Cha’aré Mikvaot du Rav Yssakhar ‘Hazan et Yémé tohar du Rav Yinon Yona (anciennement Rav des mikvés d’Israël, et Rav du quartier de Giv’at Chaoul à Jérusalem).

[16] Il faudra nommer dans chaque communauté une personne expérimentée dans ces lois afin d’éviter que le mikvé ne devienne impropre. Le Rabbin de la communauté ou de la ville ferait bien, de temps à autre, de vérifier les connaissances de tous ceux qui sont en charge du mikvé ou de la supervision de la tévila (voir à ce sujet dans Yémé tohar, pages 93 à 99). Le Rav ‘Hayim de Tsanz convoquait chaque mois les balaniyot (femmes supervisant la tévila) afin de leur faire réviser les points les plus importants (rapporté dans Taharat Habayit, vol. 3 page 167 [172 dans l’ancienne édition]).