© Hillel Bakis,
La voix de jacob, 2013
Le repas offert par Yitro
« Yitro prit un holocauste et des sacrifices de reconnaissance pour D.ieu, et Aharon et tous les anciens vinrent manger le pain avec lui devant D.ieu » (Chémot 18, 11). Rabbi Abin le Lévite a déduit de ce verset la chose suivante: « quiconque participe à un repas où un disciple des sages est présent, c'est comme s'il jouissait de la présence divine » (T.B. Berakhot 64a). Est-ce que les anciens mangeaient avec D.ieu? Non ! Le texte nous apprend donc que lorsque l’on participe à un repas qui compte parmi ses invités un disciple des sages, on bénéficie de la présence divine [1].
On peut expliquer ici une belle coutume judéo-tunisienne [2] qui donne lieu à une petite fête familiale (dite Sé’oudat Yitro ou "fête des garçons"), centrée sur l’étude des Dix Paroles. Il s'agit d'une coutume judéo-tunisienne (également fêtée dans l'Est-algérien) qui donne lieu à une petite fête familiale (dite Sé’oudat Yitro ou "la fête des garçons"), centrée sur l’étude des Dix Commandements par les jeunes garçons. Cela alors que la paracha de la semaine "Yitro" mentionne un repas offert par le beau-père de Moché aux anciens, en présence de Hachèm: c’est, en quelque sorte, la première Sé’oudat Yitro. Dans toutes les communautés juives, il est d’usage d’offrir des friandises aux enfants pour marquer leur entrée au Talmud Torah [3] et toute étape importante dans leur acquisition de la Torah! [4] La coutume tunisienne s’insère dans cette tradition : selon l’âge des enfants, le père raconte, lit, fait lire et commente la 6ème section (ou les versets relatifs aux Dix Paroles). Après quoi, lors de la sé’ouda les bénédictions sont prononcées avant de consommer les aliments.
Le festin est à l'échelle des petits garçons: mobilier, vaisselle, aliments. Une table basse est dressée spécialement pour l’occasion, et décorée avec une vaisselle miniature [5] t(par exemple: des soucoupes en guise d'assiettes, des verres à liqueurs en guise de verres). Le repas est constitué de salades variées en attendant le plat vedette de la soirée: des pigeons farcis (ou rôtis) qui constituent le plat vedette de la soirée [6]. Il en est servi un par enfant. De nos jours, lorsqu'il est difficile de trouver dans les boucheries cacher de tels volatiles, on les remplace par des coquelets ou à la rigueur des poulets, les plus petits possibles). La mère de famille sert donc, après les pigeons, de minuscules friandises en pâte d’amande colorée (modelée en forme de petits fruits), et des pâtisseries orientales variées, toutes de plus petite taille que d'ordinaire (yoyos - petits beignets au miel, briks aux amandes, makrouds, deblah).
On explique le faste de cette coutume par le fait qu’une sévère épidémie frappant les jeunes garçons a brusquement et miraculeusement cessé le jeudi de la semaine où est traditionnellement lue la section hebdomadaire de la Torah qui a pour nom "Yitro". Ce jour est fidèlement marqué dans nombre de familles d’origine tunisienne, mais en fait sa pertinence reste entière pour tous : chaque section hebdomadaire est divisée en sept montées à la Torah, étudiées tour à tour chaque jour de la semaine. La sixième section de chaque paracha de la Torah s’étudie donc les jeudis soir (ou dans la journée du vendredi). Or, le jeudi soir de la semaine qui précède la lecture chabbatique de Yitro, ce sont les Dix Paroles (ou Dix Commandements) qui sont à l’honneur puisqu’elles sont contenues dans la sixième section de cette paracha. Cette fête, qui commémore la fin miraculeuse de cette épidémie fait penser à d’autres fêtes introduites dans la coutume d’autres communautés à l'occasion de sauvetages miraculeux (comme le Pourim d’Alger [7]).
On a pu dire qu'un Juif qui oublie les pratiques religieuses reste un Juif de Kippour. Les Juifs d’origine tunisienne se souviennent aussi de se’oudat yitro et de roch ‘hodech el bnat (« fête des filles) [8], tant ces petites fêtes familiales marquent fortement les enfants! Cette coutume sympathique met en bien valeur les petits garçons (qui ne l'avaient pas été quelques temps auparavant, lorsque les filles seules étaient les vedettes un soir de 'hanouka). Elle est célébrée avec ferveur par les Juifs d'origine tunisienne qui font revivre par elle la beauté de leurs traditions et marquent leur attachement à leurs souvenirs.
Aujourd'hui, des familles d'autres origines se laissent gagner par cette célébration. Ils adoptent souvent sinon la coutume, du moins la pièce montée miniature qui trône dans les pâtisseries juives en cette saison. Une petite pièce montée devenue un symbole de la fête [9].
[1] 'Ein Yaacob (Aggadot du Talmud de Babylone) P. 133. Verdier, Lagrasse, 1450 p.
[2] La sé’oudat Yitro était célébrée également dans l’Est algérien ; une personne originaire d’Alger m’a affirmé que sa famille suivait également cette coutume.
[3] En Afrique du Nord les mamans faisaient des beignets.
[4] PEDAGOGIE - Le sujet abordé nous conduit à dire quelques mots à propos de l’enseignement de la Torah aux enfants: l’enseignant doit savoir mettre à profit les récits bibliques, talmudiques et midrachiques (ainsi que le riche patrimoine de contes rabbiniques ou populaires) pour ancrer dans l’esprit de l’enfant une meilleure appréciation de sujets plus ardus. Si le jeune garçon n’a pas vécu dans une atmosphère familiale très pratiquante, il convient d’abord de le motiver.
On peut faire sentir la valeur exceptionnelle de la Torah en racontant qu’après l’avoir reçue de D.ieu au Sinaï, il a dû convaincre les anges de le laisser l’emporter aux êtres humains. Il expliqua que la Torah ordonne le respecter du père et de la mère, elle ne peut donc leur être destinée puisqu’ils n’ont pas de parents. Ils admirent ce raisonnement et chacun d’eux lui a offert un cadeau. L’ange de la mort offrit le secret de l’encens, secret qui sera utilisé par Aharon alors que les Israélites étaient décimés suite à une faute.
On peut aussi comparer les besoins du corps (nourriture, sommeil, confort) et de l’âme (besoins spirituels qui se satisfont par la prière, l’étude de la Torah, mitsvot…). Sans alimentation convenable, l’âme dépérit et l’être humain est malade même s’il ne manque de rien physiquement. Il convient d’entretenir cette âme en ne lui faisant pas subir des épreuves qui peuvent la dégrader ou la détruire (nourriture non cacher, conduites impropres – que D.ieu nous en préserve !).
On peut donner aussi une idée des dimensions mystiques du moindre geste ou du moindre mot dans le judaïsme (« raisons » de certaines mitsvot ; importance de répondre « Amen ! »): réparation du monde, contribution au projet divin… Cette étape est fondamentale, car une fois ce message bien compris, l’apprentissage technique devient plus facile. Quant à la lecture de la section choisie du sépher Torah, il est utile, lors de la première leçon, de poser devant l’élève plusieurs volumes, présentant le Pentateuque: un ‘houmach en hébreu; une traduction française ; un ‘houmach plus complet comprenant la traduction araméenne d’Onkelos, et le commentaire de Rachi. On terminera en initiant l’étudiant aux caractères ‘manuscrits’ du sépher Torah pour la lecture (cantilation traditionnelle) en traduisant et expliquant le texte.
[5] Notons que la table basse destinée aux enfants était une coutume suivie par certaines familles bônoises. Ma mère תחי' préparait cela et c’était toujours une grande joie (mais nous avions l’habitude de situer ce moment lors du festin de Pourim). A Paris depuis les années 80, les pâtissiers proposent à cette occasion des pièces montées.
[6] Des pigeons blancs étaient recherchés en Tunisie. On se contente souvent de coquelets aujourd’hui.
[7] Dont le souvenir est encore marqué dans les familles algériennes par une pâte sablée cuite au four, puis recouverte de blanc d’œuf battu en neige avec du sucre glace – cela rappelant l’écume des vagues qui ont miraculeusement repoussé les navires des envahisseurs espagnols venus jusque sur la rive sud de la Méditerranée, pourchasser les enfants des Juifs expulsés.
[8] Lors de la veille du Roch ‘Hodech tombant pendant la fête de ‘Hanouka, les parents offrent des cadeaux à leurs filles, et chaque fiancé agit de même pour sa fiancée. Une belle coutume que les maris continuent parfois.
[9] Voir : Haddad de Paz Charles (1988), De la Kahéna à Mendès-France. Juifs de Tunisie, à Bible vécue ; Nataf Claude (2013), 'De l'origine de la séoudat yitro', Chiourim.com, janv. ; Szwarc Sandrine (2013), "Us et coutumes. 'Séoudat Yitro', ou la fête des garçons", Actualité juive, n°1242, 31 janvier, p. 38.
Dernière mise à jour: 19 janvier 2014