Haft. II-34 Bamidbar- l’importance des coutumes

II-34* CHABBAT BAMIDBAR


Indications liturgiques  Un même extrait est retenu par les différentes coutumes (Hochéa’ 2, 1-22): rites sépharade [1], achkénaze [2], yéménite  [3].

 

Haftara commune aux différentes coutumes (Hochéa2, 1-22)

וְֽ֠הָיָה מִסְפַּ֤ר

 

LES PARTICULARITÉS DE CHAQUE COMMUNAUTÉ SONT INDISPENSABLES A L’ENSEMBLE DU PEUPLE

 

 

La haftara parle du nombre des enfants d'Israël qui, seront aussi nombreux que les grains de sable dans le futur.  Le choix de cette haftara est lié à la présence du mot מִסְפַּ֤ר  « nombre » au début de cet extrait dulivre du prophète Hochéa[4], alors que la paracha  rapporte le recensement des Kohanim[5]. Un autre recensement sera relaté dans le livre de Bamidbar : celui effectué après la traversée du désert pour servir au partage des terres du pays de Kéna’ane après sa prochaine conquête.

De ce fait, le livre de Bamidbar est nommé sépher hapékoudim (livre des comptes) par des sources juives[6] et son titre est devenu Nombres  dans la traduction grecque et la traduction latine (car il est question de recensements).

Dès le début du livre de Chémot, la famille de Ya’akob a été dénombrée : 70 personnes et Yossef était en Egypte (donc non encore compris dans ce total). Dans son commentaire du premier verset de Bamidbar, Rachi vient rappeler l’insistance dont témoigne la Torah à compter et recompter les Hébreux. 

 

ON NE COMPTE QUE CE QUI EST IMPORTANT

Les objets importants (vêtement, bijoux, etc.) se vendent à l’unité. Les objets non précieux (pommes de terre, grain de sable…)  se vendent en fonction d’un certain poids (un kilogramme, ou une tonne…). On ne sait pas même combien de pommes de terre il y a dans un kilogramme, et encore moins combien de grains de sable il y a dans un camion…

Pour les enfants d’Israël, il est écrit : שְׂא֗וּ אֶת־רֹאשׁ֙ כָּל־עֲדַ֣ת בְּנֵֽי־יִשְׂרָאֵ֔ל לְמִשְׁפְּחֹתָ֖ם לְבֵ֣ית אֲבֹתָ֑ם בְּמִסְפַּ֣ר שֵׁמ֔וֹת כָּל־זָכָ֖ר לְגֻלְגְּלֹתָֽם׃ « Comptez individuellement toute la communauté des enfants d'Israël… » (Bamidbar1,2).  La signification de cela est claire : chaque personne est importante et digne d’être comptée indépendamment de son âge (qui connaît la future grandeur d’un enfant ?), de sa valeur sociale (telle qu’elle est perçue par les autres), de ce qu’il peut penser de lui (s’il se déprécie à ses propres yeux, alors que sans le savoir il est plein de qualités). Chaque être juif est indispensable à sa communauté car les lumières qu’il apporte par sa téphila, par son étude de la Torah et par sa contribution spécifique au monde sont spécifiques. Chacun est « compté » (d’ailleurs la présence d’une seule personne peut faire atteindre le quorum pour que neuf individus accèdent à par le minyan à la qualité de tsibour). Chacun est donc individuellement très précieux aux yeux de Hachèm[7].

Dans cette haftara, le nombre des enfants d’Israël est comparé au sable de la mer qui ne peut être dénombré   כְּח֣וֹל הַיָּ֔ם אֲשֶׁ֥ר לֹֽא־יִמַּ֖ד וְלֹ֣א יִסָּפֵ֑ר(Hochéa’ 2,1). Dans un autre verset il est écrit que la descendance d’Abraham sera comme les étoiles du ciel : וַיּוֹצֵ֨א אֹת֜וֹ הַח֗וּצָה וַיֹּ֨אמֶר֙ הַבֶּט־נָ֣א הַשָּׁמַ֗יְמָה וּסְפֹר֙ הַכּ֣וֹכָבִ֔ים אִם־תּוּכַ֖ל לִסְפֹּ֣ר אֹתָ֑ם וַיֹּ֣אמֶר ל֔וֹ כֹּ֥ה יִֽהְיֶ֖ה זַרְעֶֽךָ׃  (Béréchit 15,5)[8]. Le Baal Chem Tov enseignait à ce propos : « de même que les étoiles paraissent très petites mais sont en réalité encore plus grandes que la terre, chaque Juif - même s'il nous semble petit- est extrêmement important aux yeux du Créateur. Chacun peut se hisser à des niveaux toujours supérieurs ! » [9].

Ce qui est vrai à l’échelle d’une personne l’est encore plus à celle des tribus. On lit dans la paracha : וְחָנ֖וּ בְּנֵ֣י יִשְׂרָאֵ֑ל אִ֧ישׁ עַֽל־מַחֲנֵ֛הוּ וְאִ֥ישׁ עַל־דִּגְל֖וֹ לְצִבְאֹתָֽם׃  « … les enfants d’Israël, chaque homme dans son camp et sous son drapeau » (Bamidbar 1, 52). En effet, chaque tribu possédait un camp et un drapeau spécifique (couleur, symbole)[10]. Aujourdhui, les différents Etats disposent de leur drapeau national, et on peut constater que le besoin d’une identité existe même à des niveaux inférieurs (drapeaux de régions, d’agglomérations ; drapeaux et insignes à l’échelle des petites unités constituées d’une même armée, tels les régiments : l’action de chaque soldat, pour être efficace, doit être cohérente avec celle de son groupe. C’est cela que les Hébreux ont appris lors du Don de la Torah, lorsqu’ils virent les anges descendant du Ciel rangés sous leurs différents drapeaux. Pourquoi les Hébreux se sont-ils intéressés à un tel détail (apparent) alors qu’ils s’apprêtaient à recevoir la révélation divine lors du Don de la Torah ? Pourquoi ont-ils souhaité en avoir également ? La réponse tient à la signification de ce symbole : la particularité. Cela est vrai pour les groupe d’anges, qui, quoique tous au service d’Hachèm, ont des fonctions différentes. Cela est vrai pour les tribus : quoique constituant des parties du même peuple, elles ont différentes fonctions. Lorsque Ya’akob bénit ses fils à la fin de sa vie, il prophétie sur le rôle des tribus : Réouben (force) ; Yéhouda (chefs, législateurs) ; Lévi (prêtres) ; Yissakhar (savants) ; Zébouloun (navigateurs) ; Chim’on (maîtres d’école) ; Gad (soldats) ; Dan (juges) ; Acher (producteur de délicieux aliments). Parfois c’est une qualité de la tribu qui apparaît: Naphtali (belles paroles) ; Binyamin (férocité d’un Loup) ; Yossef (donc Ephraïm et Ménaché, les tribus qui en sont issues : beauté et fertilité) [11].

 

LES COUTUMES : SAVOIR RESPECTER LES COUTUMES DE CHACUN

Ce que nous avons noté pour chaque individu et pour chaque tribu, transmet un important enseignement pour toutes les époques, et notamment pour la nôtre.

Le monde juif du 20ème siècle a été caractérisé par des déplacements massifs de population. Aujourd’hui, certains pays voient se côtoyer des Juifs venus de différentes régions du monde, et ne partageant pas forcément les mêmes coutumes  (minhaguim) : séfarades, achkénazes, yéménites, sfardes, ‘hassidim, etc. Cela est tout particulièrement vrai en Israël (différentes ‘aliot), mais aussi en France (transplantation des Juifs d’Afrique du Nord), au Canada (installation de Juifs marocains), etc.

Nombreux sont ceux qui, tout en respectant la halakha commune à tous, ont des coutumes spécifiques résultant de décisions de poskim (rabbins décisionnaires, dayanim) de leur minhag. Des coutumes, il va sans dire, parfaitement conformes pour les orthodoxes. Du fait de l’installation dans de nouvelles villes où n’existait pas des communautés organisées de tel ou tel rite, la fréquentation de rabbins et communautés relevant d’autres coutumes a été inévitable en attendant que de nouvelles communautés ne puissent s’organiser.

Ces dans ce contexte qu’un risque se présente. Une difficulté pour certains rabbins croyant bien faire en enseignant leur propre coutume à ceux qui viennent à eux à la suite de leur installation dans leur pays, ville, ou quartier. Certains ont affirmé de bonne foi que telle ou telle pratique était « interdite » selon la halakha, alors qu’elle n’était interdite que selon les décisionnaires de leur coutume. Cela entraîne d’évidents problèmes, cet impérialisme ayant pour conséquences de saper l’autorité de ces rabbins auprès des nouveaux arrivés, mais aussi de déstabiliser ces derniers. Les coutumes suivies par leurs familles étaient-elles donc erronées ? Faut-il s’adapter aux nouvelles pratiques ? Donnons un exemple : les sépharades ont pour coutume de prier en minyan (quorum de dix hommes ayant dépassé l’âge de 13 ans) min’ha (prière de l’après-midi) suivie de ‘arbit (prière du soir) même si la nuit n’est pas encore tombée. Le vendredi soir, surtout au printemps et en été, la nuit tombe très tard dans certaines contrées (France, Canada par exemple). Le fait de suivre certains offices d’autres communautés (‘Habad par exemple) nécessite, pour commencer ‘arbit, d’attendre une heure avancée. Cela désorganise profondément la vie familiale puisque le kidouche sera retardé d’autant, et compromet aussi la joie du chabbat en famille et la transmission aux enfants. Autre exemple : la demande faite aux sépharades de se lever pendant la lecture du kadich, ce qui ne présente aucune obligation en principe. Si le rabbin pense à faire respecter la coutume de sa synagogue, cela est conforme (un principe veut que l’on suive la coutume de la majorité). L’erreur est que par déficit de précisions, ces mêmes personnes se lèveront dans des offices sépharades, croyant que telle est leur coutume, et elles inciteront même d’autres sépharades à agir comme eux car « c’est la loi ». Se lever n’est pas un problème en soi dans ce cas, ce qui pose problème c’est le fait de le considérer comme étant obligatoire alors que ce n’est pas le cas pour les sépharades. 

 

Le problème indiqué ici se pose également dans un autre contexte : celui d’un Juif effectuant un retour à la pratique religieuse et fréquentant une communauté qui n’est pas celle de sa famille. En toute bonne foi, on lui enseignera des coutumes qui ne le concernent pas. Il ne protestera même pas car il peut totalement ignorer quelles devaient être ses coutumes.

Ces situations soulèvent un problème important : celui de la responsabilité spécifique des rabbins de communautés.  Ils ne peuvent perdre de vue la fonction spécifique de chaque partie du peuple, car ce que l’on a dit plus haut au sujet de chaque individu et de chaque tribu vaut aussi pour les différentes coutumes juives (conformes à la halakha).

Au lieu de révolutionner des pratiques, ils peuvent se limiter à enseigner les lois communes (elles sont la majorité heureusement) ; ou, si leur communauté comprend un nombre notable de personnes venant d’un autre minhag, apprendre ces coutumes-là de manière à n’enseigner à chacun que ce qu’il lui incombe de respecter.

Car, en plus de la loi commune il existe nombre de manière de l’appliquer : c’est tout le champ de la coutume. Si ce juif appartient à une autre coutume c’est sa coutume qu’il faudrait lui enseigner et non celle du maître. Car ses traditions centenaires[12], sont autant de spécificités qui sont bien autre chose que du folklore ! C’est la clé de la porte du Ciel par laquelle passe le produit de son action spirituelle ! Lui donner une autre clé ne l’aidera pas à passer par sa porte ! Le Ari zal nous enseigne cela : « il ne faut pas  perdre l'originalité des traditions de chaque communauté car elles ne sont pas que des coutumes prises dans l'environnement, elles sont imprégnées de traditions transmises depuis Moché pour un motif essentiel : chaque communauté et elle seule ouvre l'un des portails de la prière ou de la Torah. Il ne faut donc pas y renoncer mais il faut connaître et cumuler » [13]. Et le Maguid de Mézeritch זצוק"ל a enseigné : « Les douze portes [que l’on trouve au Temple] forment autant de passages pour chaque tribu. On sait que le Temple d’en bas est situé en parallèle à celui d’en haut et en conséquence il ressort que le Temple d’en haut a également des passages pour chaque tribu, ainsi que l’écrit le Ari zal hakadoch. Or, le principe de la prière est que chacun doit pouvoir y parvenir en empruntant sa propre entrée. […] Chacun d’entre eux a son propre code d’accès, et c’est pourquoi, on trouve diverses versions de la prière. […]. Lorsque les gens savaient quelle était leur tribu, il est évident qu’il valait mieux emprunter la voie qui était la leur » [14]. Rabénou Yéhouda Ayache  זצוק"ל, grand rabbin d’Alger avant sa montée à Yérouchalayim, a enseigné : « Je me suis fait une règle de conduite que je ne quitte jamais: ne rien changer du tout des Minhaguim, car ils ont été établis il y a bien longtemps par des rabbins et par des autorités rabbiniques -que leur souvenir soit une source de bénédictions. Celui qui change quoi que ce soit sera en position de faiblesse ; il se trompe et bat en brèche tous les enseignements de nos Sages car, comme on le sait, chaque Minhag a une racine profonde et est relié au Ciel »[15].

C’est pourquoi les maîtres doivent n’enseigner à leurs élèves que les lois générales s’appliquant à toutes les communautés, ou bien, s’ils enseignent leur propre coutume, ils doivent le faire en précisant clairement à leurs auditeurs : "ceci s’applique à telle coutume". On ne peut exiger de tout Rav (ou de toute personne enseignant la halakha) de connaître et pouvoir enseigner les minhaguim des autres communautés que la sienne (car connaître et appliquer les mitsvot et ses propres coutumes est déjà parfait). Mais tout enseignant est moralement tenu de rappeler que chacun doit précieusement conserver la tradition de sa communauté et qu'il doit respecter les coutumes transmises par des générations de rabbins et parvenues jusqu’à lui.  

 




[1] Tikoun Ich Matslia'h; Séfer hahaftarot de l’Institut Or ha’hayim, Tables p. 6 ; texte : pp. 550-552.

[2] Séfer hahaftarot de l’Institut Or ha’hayim, Tables p. 6 ; texte : pp. 550-552.

[3] Séfer hahaftarot de l’Institut Or ha’hayim, Tables p. 6 ; texte : pp. 550-552.

[4] R’Jean Schwarz (1996), BibliEurope, Paris, p. 261.

[5] Qui sera poursuivi dans la paracha suivante, Nasso.

[6] בחומש הפקודים  (T.B.  Sota 36b).

[7] «Hachèm apprécie la qualité de chacun car ils disposent tous de capacités particulières. « Le but de chacun dans ce monde est différent aussi, personne ne peut ni n'est autorisé à s'annuler et à dire : ‘Qu'est-ce que je vaux ? … ‘Comptez individuellement’ signifie qu'il faut compter chacun et le relever, le secouer de la matérialité dans laquelle il est enfoncé et lui montrer que s'il utilise ses aptitudes et fait ce qu'Hakadoch Baroukh Hou attend de lui, il est capable de s'élever prodigieusement ! De devenir vraiment grand ! »  (Mat'amim léchoul'han Chabbat. Les délices de la table du chabbat. Bamidbar 5769).

[8] « Il le fait sortir dehors. Il dit: ’Regarde donc les ciels. Compte les étoiles, si tu peux les compter !’ Il lui dit: ‘ Telle sera ta semence. ‘» (Trad. A. Chouraqui).

[9] Mat'amim léchoul'han Chabbat. Les délices de la table du chabbat  (Bamidbar 5769).

[10] Mat'amim léchoul'han Chabbat. Les délices de la table du chabbat. Bamidbar 5769.

[11] Voir : Béréchit, chap. 49.

[12] Chants, variantes du texte de son sidour (livre de prière), takanot (décrets), décisions de ses rabbins décisionnaires, contes et récits, exemples qu’il tire de la vie édifiante des rabbins de son pays d’origine, et même choix des haftarot…

[13] R’ Y. R. Dufour א’’שליט, http://www.modia.org/infos/israel/comunot.html

[14] R’ Dov Beer, Maguid Debaraw leYa’akob, Cit. R’ Yits’hak Eizik haLévy (2004), « Les débuts de la prière dans le peuple juif »,  Kountrass, n° 103, eloul 5764-Tichri 5765, p. 38.

[15] Maté Yéhouda, art. 582, cit. R’ Simon Darmon (1995), Le livre de nos coutumes, p. 330, art.  3. Pour plus de détail voir notre dracha : « Doit-on utiliser le mot ‘paracha’ ou faut-il adopter ‘sidra’ » ?’,  La voix de Jacob, paracha Vay’hi (2009, tome 1).

 

 

 

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