La Mimouna
Le matin du septième jour, certains « vont à la mer, les gens se lancent de l'eau sur le visage et entrent pieds nus dans l'eau, pour rejouer la scène miraculeuse de la traversée de la Mer Rouge » à pieds secs par les Hébreux [1] traversée qui eut lieu le dernier jour de Pessah. A Tunis, les Juifs allaient prier au bord du lac, puis traversaient la ville pour se rendre joyeusement à la synagogue pour y lire la Torah et la haftara.
Le lendemain de la fête, immédiatement après le coucher du soleil la fête de Pessa’h prend fin. Dans toutes les communautés juives, il est coutume de montrer qu'on ne quitte qu'à regret le temps de la fête pendant le jour d'après ("huitième" jour pour les communautés d'Israël, "neuvième" pour les communautés de la Diaspora). Cette fête traditionnelle commence à la sortie des étoiles – comme les autres fêtes juives, et se termine avec le coucher du soleil le lendemain. Cependant, les festivités ont plutôt lieu en soirée.
Origine
« Depuis de nombreux siècles, dans toutes les communautés juives d’Afrique du Nord, on marque la sortie de Pessa’h par une fête appelée Mimouna » [2]. Au Maroc, des célébrations ont pris la dimension d'une véritable fête.
Ailleurs dans les communautés séfarades ou orientales, ce jour était souvent marqué bien que de manière moindre qu'au Maroc. La fête du retour du pain était célébrée notamment en Algérie, en Irak et à Izmir (Turquie). La coutume était de disposer de la verdure (feuilles de laitue et des épis de céréales sauvages ou de blé) au-dessus des portes, des meubles, des lustres, au sol tout en formulant des bénédictions pour que l'année soit verte (symbole de vie et d'abondance). L'expression traditionnelle en judéo-arabe était : "kharddarna el'am akhder" ("nous avons fait verdir, l'année sera verte") comme le rappelle le R' David Settbon. Cette coutume est éclairée lorsque l'on sait que les Sages du Talmud enseignent que l'abondance des récoltes de l'année est décidée par D.ieu au moment de Pessa'h. Elle prend une autre dimension lorsque l'on sait que la floraison des végétaux est comparée avec la résurrection des morts et donc à la venue du Messie (וְיָצִ֥יצוּ מֵ֝עִ֗יר כְּעֵ֣שֶׂב הָאָֽרֶץ׃ "Les habitants croîtront dans la ville comme l'herbe de la terre"- Psaumes 72,16).
La foi en la venue du Messie est d'ailleurs inséparable de la fin de Pessa'h.
La « mimouna » : la fête du lendemain de Pessa’h
Plusieurs explications sont avancées pour expliquer le sens de la fête et l’origine de son nom.
- « émouna » (foi, confiance en D.ieu) - On sait que nos ancêtres ont été délivrés de l’esclavage égyptien pendant le mois de Nissan. Pendant toute la fête de Pessa’h, les Juifs espèrent la venue du Messie. Les Sages ont enseigné que ce sera aussi pendant le mois de nissan que la délivrance finale se déroulera. Comme la fête se termine mais que le Messie n’est pas encore venu, les Juifs continuent de croire à sa venue et ne désespèrent pas de le voir bientôt. Les juifs d’Afrique du Nord qui fêtaient la Mimouna, et notamment les Marocains, ont indiqué par le nom de la fête que leur foi en la venue du Messie restait entière[3].
- « mamone » (argent) - A la fin de Pessa’h, l’armée égyptienne qui avait poursuivi les Hébreux dans les eaux ouvertes de Yam Sof trouva la mort au fond des eaux qui se sont refermées sur eux. La mer a rejeté́ le lendemain sur le bord de la mer tout l’argent qu’ils transportaient avec eux et les Hébreux l’ont récupéré, bénéficiant de ces richesses (ce « mamone ») supplémentaires le jour où sera fêtée la mimouna les années suivantes [4].
- « mamone » signifie chance en arabe. Aussi une tradition affirme que le jour de la Minouna est propice pour trouver son conjoint ou réussir en affaire [5].
- Mimouna serait en relation avec un gâteau espagnol la Mona (ou Mouna) que les Chrétiens faisaient à l’occasion de leur Pâque. A la fin de Pessa’h, chacun voulait de ce gâteau savoureux : et demandaient : mi mouna… [6]
- Mimouna dériverait d’une fête du printemps marocaine de Lala Mimouna[7].
- La Mimouna serait la hilloula du Rambam (selon les Juifs de Tripoli[8]) ou celle de R’ Maimon, père du Rambam.
- La signification principale est en relation avec la fin de l’obligation de consommer du ‘hamets. Le Gaon de Vilna goûtait un aliment à base de hamets lors du lendemain de la fête pour bien marquer qu’il n’avait manger des matsot que pour se conformer à la prescription divine et non par préférence personnelle [9].
- Le lendemain de la fête étant imprégné d’une certaine sainteté propre à la fête, il convient, selon la Kabalah, d’honorer ce jour par le port de vêtements honorables et par des repas qui sortent de l’ordinaire[10]. Cette coutume est aussi respectée pour les autres fêtes de pèlerinage (Soucot et chavouot).
- Lorsque le Beth hamikdach (Temple de Jérusalem) existait encore, la joie des pèlerins rentrant chez eux le lendemain de la fête, était grande. Selon le Hatam Sofer, cette atmosphère de joie explique l’origine de la coutume qui veut que l’on marque le lendemain de fête (isrou ‘hag) par un repas plus copieux que ceux que l’on prend les jours de semaine [11].
- Une autre explication avance que cette fête du lendemain de Pessa’h trouve son origine en Israël afin d’honorer les Juifs de la Diaspora qui prolongeaient la fête d’un jour supplémentaire. Par la suite, les Juifs de Diaspora on aussi prolongé d’un jour, marquant le lendemain du 8ème jour comme jour de Mimouna [12].
La cérémonie familiale
Les interdictions liées à la consommation du ‘hamets prennent fin et des plats à base de farine sont préparés (couscous et moufleta [13] interdits pendant Pessah).
La table nappée de blanc, est garnie de fleurs. Y sont disposés des mets symboliques. Dans ma tradition familiale (Est algérien), on disposait des pâtisseries, du petit-lait (ben), du beurre, du fromage, des fruits. Les épis de blés étaient symbolisés par des épis sauvages poussant au bord des chemins. Dans un plat, de la farine est placée qui, mélangée avec de l'eau deviendra le premier levain qui servira pour la préparation du pain. Sur cette pâte, symbole de sorite de la fête dans l'abondance, on dispose des fêves fraîches (plusieurs cosses certains en mettent cinq), ainsi qu'un plat contenant un poisson (une daurade ou un bar par exemple) sur lequel on place un bracelet en or. Un verre d'eau est surnagé d'huile pour la préparation d'une veilleuse. On y plonge un bijou d'or et on y verse du lait. Le lait est un symbole d'abondance et il permet aussi d'éviter d'oublier que cette veilleuse contient de l'or et donc qu'il convient de ne pas jeter son contenu par inadvertance. Le plat principal est le couscous servi chaud où sont ajoutés du beurre, des fruits secs (dattes, raisins secs notamment, fèves et courgettes). Ce plat de couscous est arrosé de lait et de petit-lait. Il est servi avec diverses boissons dont du vin.
Selon les traditions, sont disposés sur la table :
- des fleurs,
- des épis de blé,
- du lait et du lait caillé (en arabe : Ben, ou Llben)
- du beurre,
- du fromage (frais parfois)
- de la farine,
- des œufs (parfois un œuf est placé dans le plat de farine)
- du sucre, bonbons et confiseries variées
. Mourouzias, confitures à base d'amandes et de raisins secs
. Eabane – mot arabe pour : nougat mou aux noix
- miel,
- fruits frais et secs (dont noisettes)
- fruits secs miéllés et recouverts de grains de sésame
- dattes (certains mettent 5 dattes sur la table)
- du vin
- des gâteaux marocains traditionnels
. Mofletas (ou Moufflétas)[14] et Baghris : ces sortes de crêpes sont mangées chaudes, roulées autour de beurre et de miel. La recette est disponible sur Internet.
. Massapan - pâtisseries à base d'amandes et de raisins secs
. une brioche au sucre (rappel du gâteau espagnol Mona)
- du couscous au beurre...
- des fèves fraiches cuites à la vapeur
- un poisson frais disposé dans un plat fleuri.
Avertissement - Bien entendu préparatifs et achats de ‘Hamets attendront la tombée de la nuit.
Ceux qui ont connu cette fête dans leur enfance en gardent une forte nostalgie même s’ils continuent à la fêter encore. Ainsi : « Qui n’a pas connu cette ambiance festive où les odeurs de mofleta et de beignets marocains étaient accompagnés de lait caillé, leben, le tout agrémenté́ d’airs andalous chers à la mémoire des juifs du Maroc ? » [15] [9]
Les visites
Chaque famille a ses coutumes particulières à propos des restrictions alimentaires : les unes mangent du riz, d’autres des kitniot [16], d’autres s’interdisent tout produit transformé même sous contrôle rabbinique, d’autres encore respectent certains contrôles rabbiniques mais évitent les autres… Aussi, on évite de manger hors de sa propre maison pendant Pessa’h. Au contraire, dès la fin de Pessa’h, on s’invite les uns chez les autres pour marquer que la distance constatée pendant la fête n’était que provisoire et liées au respect de la fête.
« En ouvrant tout grand les portes de leurs maisons le soir et en accueillant les voisins chez eux, l'on signifie à ses voisins que cet isolement n'était que le fait d'un respect de la religion et non d'une querelle»[17].
Au Maroc « où le premier pain introduit dans la maison après Pâque est offert par les voisins musulmans qui l'apportent à leurs voisins juifs »[18]. C’était le cas en Algérie, par exemple, dans la famille de mon grand-père paternel z’’l.
Aujourd’hui en Israël
La tradition festive de la Mimouna marocaine a été introduite par les immigrants venus du Maghreb en Israël. La musique judéo-arabe est à l’honneur à cette occasion.
Ainsi en 1966 ce fut l’occasion d’un rassemblement de 300 juifs originaires de Fez. « En 1968, ils furent 5000 à la célébrer. Aujourd’hui, près de deux millions de personnes fêtent la Mimouna dans toutes les villes d’Israël. Elle est devenue une célébration populaire »[19].
Les officiels ainsi que les partis politiques y voient l’occasion de courtiser l’électorat sépharade. Des organismes laïques ont saisi cette occasion festive pour transformer « cette belle coutume juive aux racines profondes en un véritable carnaval accompagné de danses mixtes. Non seulement ils bafouent les lois de la décence juive, mais ils transgressent les lois de Yom Tov pour préparer ces festivités » [20].
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NOTES
[1] Rav Shimon Baroukh.
[2] Rav Shimon Baroukh (2012).
[3] Rav Shimon Baroukh (2012).
[4] Rav Shimon Baroukh (2012).
[5] Rav Shimon Baroukh (2012).
[6] Charles Lugassy (2015).
[7] Ce que l’on peut traduite par « Dame fortune ». Mezra’hi Claude (2008), p. 407.
[8] Rav Shimon Baroukh (2012).
[9] Rav Shimon Baroukh (2012).
[10] Le Ari Zal cité par Rav Shimon Baroukh (2012).
[10] Rav Shimon Baroukh (2012).
[12] Rav Shimon Baroukh (2012).
[13] Rahel (2015), http://www.lacuisinejuivesepharad.com/article-les-moufletas-49206257.html
[14] Rahel (2015), http://www.lacuisinejuivesepharad.com/article-les-moufletas-49206257.html
[15] Charles Lugassy (2015).
[16] "D’après le Choulkhan 'Aroukh, les légumineuses, appelés en hébreu :kitniot, (y compris les pois chiches) et le riz sont autorisés à Pessa’h. Mais il faut soigneusement trier le riz pour s’assurer qu’aucun grain de blé ou de céréale n’y soit mélangé. Les Sefaradim, suivant l’avis du Choulkhan Aroukh, peuvent consommer du riz ou des kitniot à Pessa’h. En revanche les Ashkenazim ont le mihnag (coutume) de ne pas consommer le riz et les kitniot pendant Pessa’h (à titre de ‘houmra), et ne peuvent pas changer cette habitude." Voir : Kitniot, riz et Pessa'h", http://laquotihalakhique.org/kitniot-riz-pessah/. Les coutumes varient cependant selon les lieux: ainsi, tous les séfaradim ne consomment pas de riz ou de pois chiches à Pessa'h.
[17] X (2015), « Une fête peu connue en Europe, la mimouna »
[18] X (2015), « Une fête peu connue en Europe, la mimouna »
[19] X (2015), « Une fête peu connue en Europe, la mimouna »
[20] Rav David Ovadia zal, cite par R’ Shimon Baroukh (2012).
Hillel Bakis
avril 2016
Références
* Baroukh, R’ Shimon (5771/2012), La fête de Pessah, Edition Hanna Sadik, voir pages 335-338.
* Darmon Simon (1995), Le Livre de nos coutumes..., p. 173
* Falaggi, R' Haïm, Mo'ed lékhol 'hai (lois sur les fêtes), 4, 43 (cité par R' D. Settbon, p. 369)
* Lugassy Charles (2015), "La Mimouna : Tradition judéo-marocaine toujours d’actualité dans le monde", http://www.tribunejuive.info/israel/la-mimouna-tradition-judeo-marocaine-toujours-dactualite-dans-le-monde-par-charles-lugassy
* Mezrahi Claude (2008), Le grand livre des coutumes et des supertitions juives, Editions A.J. Presse, 642 p. (voir pp. 405-408)
* Minhagué Ya'hadout Bavel, vol. 1 (cit. R' David Settbon, 2006)
* Rahel (2015), "Les moufletas pour la mimouna", 11 Avril, http://www.lacuisinejuivesepharad.com/article-les-moufletas-49206257.html
* Settbon, R' David (2006), Alé hadas, Minhaguim, pp. 368-370
X (2015), « Une fête peu connue en Europe, la mimouna », 6 avril, http://www.harissa.com/news/article/une-f%C3%AAte-peu-connue-en-europe-la-mimouna
* X (?), "La Mimouna, une fête qui rassemble les israéliens" http://www.terredisrael.com/mimouna.php
Vidéos
* X (2013), "La communauté juive beglo-marocaine fête la Mimouna - Maghreb" https://www.youtube.com/watch?v=DDfY6p7cBPY - Ajoutée le 17 avr. 2013 - "Le Rabin Guigui, Maurice Tal et les membres de la communauté juive belgo-marocaine fêtent la Mimouna à Bruxelles.", www.maghrebtv.be