Samuel Darmon נ״י nous propose ici des réflexions autour des noms des chefs de tribus (et de leurs pères) mentionnés dans la paracha Bamidbar et dans la paracha Nasso.
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Rappelons qu'au début du livre Bamidbar, Hachèm ordonne à Moché et Aharon de dénombre les hommes agés de vingt ans et plus avec la participation des chefs de tribus (Bamidbar 1, 4). Le rôle des chefs de tribus était de recenser les soldats de la prochaine conquête de Kéna'an et de préparer partage du territoire (Malbim). Cela s'explique car le chef de chaque tribu était le mieux placé pour bien connaître les membres de sa tribu et leurs généalogie (Sforno).
Dans la Torah, comme le transmettent nos maîtres, tout fait sens au point de permettre de nombreux niveaux de compréhension s'étageant du plus littéral au plus secret. Cet enseignement peut être difficile à comprendre dans le cas de certains versets qui ne semblent a priori, n'avoir que le sens simple des leurs mots. Ce le cas apparemment des versets du début du livre Bamidbar relatant les douze noms des chefs de tribus d'Israël au temps de Moché. Indication de la tribu concernée, du chef, et du père de ce chef. Les verset se suivent avec seulement ce contenu. Ces versets peuvent-ils contenir plus d'informations? La réponse est oui.
Tout d'abord, les noms des patriarches, ne sont pas donnés au hasard; ils ont un sens précis. Quant aux noms des chefs de tribus au temps de la sortie d'Egypote, nos maîtres ont indiqué quels sont leurs significations (voir par exemple les commentaires rapportées par Dr. R' J. H. Hertz, 'Pentateuch & Haftoras', Soncino press, 2nd Ed., 1979, pp. 568-569).
De plus, l'ordre de ces noms ne vient pas au hasard. Le Ba'al hatourim a enseigné que l'ordre même de la citation des différents chefs de tribus a du sens car Elitsour ("mon D. est mon protecteur") est le premier nom cité, et 'Einan (père d'A'hira), le dernier renvoit à l'organe de la vue. Ces deux noms font allusion aux Nuées de Gloire entourant et protégeant les enfants d'Israël dans le désert, comme l'indique le verset: יִצְּרֶ֖נְהוּ כְּאִישׁ֥וֹן עֵינֽוֹ׃ "Ils les a protégés comme la prunelle de ses yeux" (Dévarim, 32, 10). Ces indications ouvrent des perspectives sur le sens des noms des chefs* et sur les allusions contenues du fait même de leur ordre.
La dracha suivante nous prolonge ces perspectives en explorant les relations entre chaque nom de chef avec le nom de son père. Puis elle tente de comprendre le message révélé par la progression même des douze noms accompagnés du nom des pères. Ce message prend ancrage dans la foi en D' (1er couple de noms), dans le travail nécessaire pour subordoner le mauvais pendant au penchant au bien (2e couple de noms), dans le développement d'une inspiration à la spiritualité mis au service du peuple tout entier (3e couple de noms**), pour se déployer tout au long des douze versets explorés jusqu'aux notions de prière, d'étude et de bon jugement sur autrui.
Nous sommes heureux de présenter ce texte aux lecteurs du site web de l’Institut Rabbi Yesha'ya ***. On y retrouver le ton et la profondeur des 'hidouchim que Samuel Darmon נ״י a déjà publiés dans son intéressant recueil de drachot intitulé Ateret Paz ("Une couronne d'or fin").
Hillel Bakis
* Le Midrach Tan'houma a également tiré des enseignements à partir des noms de plusieurs chefs de tribus mais il le fait en insistant plutôt sur le potentiel négatif de ces noms.
** Notons que la troisième étape est représentée par Na'hchon ben 'Aminadav, qui est précisément l'homme qui est entré le premier dans la Mer permettant au peuple tout entier de poursuivre sa route vers le Mont Sinaï.
*** Après notre introduction sur ce sujet, la dracha suivante a été présentée au nom de Samuel Darmon נ״י devant le Kahal de la synagogue Ahavat 'Hessed de Strasbourg, à l'invitation du R' Efraïm Bouskila chlita (cours avant 'Arbit du premier soir de la fête de Chavou'ot, samedi 23 mai 2015).
"LES NOMS DES CHEFS DE TRIBUS. Dracha sur les parachas Bamidbar et Nasso. "
Par
Samuel DARMON (1)
Avec l'aide de H'
La paracha de Bamidbar mentionne les noms des chefs de tribus. Etant donné que la Torah ne s'encombre pas de détails superflus, allons donc explorer les noms mentionnés par la Torah, afin d'y apprendre de nouveaux enseignements.
Chaque nom dans la Torah représente un certain degré de proximité avec le Créateur. Ainsi, des noms comme Bilaam ou Amalek correspondent à un grand éloignement alors que les noms des Avot par exemple renseignent sur une plus grande proximité.
- Elitsour ben Chédéiour
(Bamidbar 1, 5) לִרְאוּבֵן אֱלִיצוּר בֶּן־שְׁדֵיאוּר
Au départ l'homme doit s'armer de la foi : Elitsour c'est celui qui met sa foi en D.ieu (Eli/mon Dieu), une foi aussi solide et inébranlable qu'un rocher (tsour).
Il est ben Chédéiour car, selon l'intensité de la foi que nous avons, nous pouvons mettre fin aux rigueurs qui pèsent sur nous. Chédéiour c'est Chéday-our c'est-à-dire que l'on dit : day ! Assez au feu (our) des rigueurs qui nous assaillent. Le terme our désigne le feu comme le commente la Tradition midrachique qui nous apprend que le nom du lieu biblique Our Kassdim désigne la fournaise dans laquelle fut jetée Avraham avinou par le roi Nimrod. En outre, la fête de Hanoucah est appelée 'hag haourim, la fête des flammes ou des lumières) [2].
2. Chéloumiel ben Tsourichaday
(Bamidbar 1, 6) לְשִׁמְעוֹן שְׁלֻמִיאֵל בֶּן־צוּרִישַׁדָּי׃
Une fois que l'homme a acquis la émouna, il est capable de faire la paix (chalom lié à Chéloumiel) entre les tendances opposées de sa personnalité. Il comprend mieux les événements qui lui arrivent, même s'il y a encore de nombreux points qui lui échappent complètement. Cependant, s'abritant à l'ombre de la foi, il ne rentre pas dans des confrontations avec la partie rationnelle de son Moi qui peut lui souffler de tout rejeter parce qu'il ne comprend pas vraiment ce qu'il vit.
Il est ben Tsourichaday, parce que, grâce à la foi, qui est tsouri, mon rocher, je dis day ! Assez aux suggestions négatives qui émanent de ma conscience étriquée.
3. Na'hchon ben Aminadav
(Bamidbar 1, 7) לִֽיהוּדָה נַחְשׁוֹן בֶּן־עַמִּינָדָב׃
Quand l'homme vit avec la foi et réalise la paix dans sa tête, son esprit devient réceptif à la Vérité universelle. Il commence à ressentir certaines choses, à avoir des intuitions ... Il est au stade de Na'hchon - na'hach signifie « deviner » en hébreu. Na'hach c'est aussi le serpent, mais si les deux mots ont la même racine, c'est parce que dans l'ancien temps, il existait une pratique idolâtre consistant à utiliser des serpents pour connaître l'avenir....
Il est ben (fils de) Aminadav, parce que le don que Hachem lui donne de ressentir les choses, il doit le mettre au service de son peuple : Aminadav, j'en fais don généreusement (nadav) à mon peuple (ami).
4. Netanel ben Tsouar
(Bamidbar 1, 8) לְיִשָּׂשכָר נְתַנְאֵל בֶּן־צוּעָר׃
Quand l'homme ressent certaines choses, grâce à la force de la foi, et qu'il communique cette foi au peuple, alors on assiste à des délivrances :
Nétanel, Hachem a donné (natan), a dispensé Son bien, alors qu'au départ, ben Tsouar, l'homme était dans la détresse et la souffrance (tsaar).
5. Eliav ben Helon
(Bamidbar 1, 9) לִזְבוּלֻן אֱלִיאָב בֶּן־חֵלֹן׃
Lorsque l'homme de foi fait partager la émouna au peuple, il acquiert alors la sagesse appelée av, père. Cela lui permet de comprendre que nous sommes tous les enfants d'un même Père, notre Créateur (E-li) : Eliav. C'est ainsi que l'homme quitte son esprit étriqué en créant une fenêtre sur les autres.
Il est ben 'Hélon, lié à 'halon, la fenêtre, lieu d'ouverture vers l'autre qui peut être si différent, mais c'est cette différence qui peut m'enrichir.
6. Elichama ben Amihoud
(Bamidbar 1, 10) לִבְנֵי יוֹסֵף לְאֶפְרַיִם אֱלִֽישָׁמָע בֶּן־עַמִּיהוּד
En ouvrant une fenêtre sur le monde, l'homme de foi se met naturellement à écouter l'autre (chama), mais toujours dans ce rappel que nous ne sommes pas si différents fondamentalement, car nous sommes tous issus d'une même origine : Hachem (E-li) : Elichama.
Alors le regard que j'ai sur l'autre est un regard constructif : je vois que l'autre, mon peuple (ami) est un diamant qu'il faut faire rayonner (houd dérivé de hod, la gloire) : Amihoud.
Eliav retrouve au fond une même origine. Avec allusion à cela dans la presque identité des deux noms: Eliav et Elichama'. On peut ajouter qu’en faisant rayonner l'autre c'est aussi soi-même et tout son peuple que l'on fait rayonner "(houd dérivé de hod, la gloire) : Amihoud".
7. Gamliel ben Pédatsour
(Bamidbar 1, 10) לִבְנֵי יוֹסֵף
(Bamidbar 1, 10) לִמְנַשֶּׁה גַּמְלִיאֵ֖ל בֶּן־פְּדָהצֽוּר׃
Parce que mon regard que je porte sur l'autre est différent, alors je modifie la propre image que l'autre a de lui-même. En réalité, je pousse l'autre à donner lui aussi: c'est le sens de Gamliel, lié à Gomel, celui qui donne avec générosité.
Les sages nous disent : consacre-toi au bien et le mal tombera de lui-même. Parfois, il existe un esprit morbide qui pousse l'homme à se cristalliser sur ses problèmes : il les ressasse encore et encore, et s'en trouve prisonnier ... Pourquoi tant se préoccuper ? Ne t'occupe pas de tout cela, fais le bien, encore et encore, et tu verras que d'un coup, ce que tu imaginais comme étant quelque chose qui occupait tout ton plan de vision se rétrécira de plus en plus, jusqu'à disparaître, avec l'aide de Hachem. Telle est la force du Bien. Grâce à la foi, qui est le rocher Tsour, l'homme est délivré (pada) de ses tourments : Pédatsour.
8. Avidan ben Guid'oni
(Bamidbar 1, 11) לְבִנְיָמִן אֲבִידָן בֶּן־גִּדְעֹנִי׃
L'homme qui développe la foi ne doit pas juger l'autre. Il doit se rappeler que dans le passé, il n'avait pas encore accès à ces vérités : il doit donc voir l'autre avec clémence. Seul Hachem a le pouvoir de juger, et il confère ce pouvoir à la justice d'en bas. C'est Avidan : Mon Père juge.
Pourquoi y a-t-il des personnes plus sensibles que d'autres ? Certaines mettent des années avant d'emprunter un chemin vers la spiritualité et d'autres ont la chance d'avoir une ascension plus rapide ... Cela relève des décrets du Roi : Avidan Mon Père céleste a jugé ainsi ...
Et ce jugement se traduit dans les faits par des différences dans la proximité avec Hachem. Certains sont riches et d'autres pauvres. Mais le riche, celui qui a eu la chance de se rapprocher d'Hachem doit-il rester enfermé dans sa solitude orgueilleuse ou doit-il au contraire partager et rapprocher les pauvres, les éloignés de la spiritualité ? Cette notion se retrouve dans Ben Guid'oni. On doit être Guimel - dalet - 'ani, c'est à dire gomel dispenser la connaissance au pauvre dal dans la détresse 'ani. Le pauvre 'ani est celui qui attend une réponse (il répond se dit 'oné en hébreu). Combien de personnes qui n'ont pas obtenu les réponses à leurs questions existentielles ont décidé de quitter la route pour s'égarer dans les déserts des fausses conceptions ...
9. A'hiezer ben amichaday
(Bamidbar 1, 12) לְדָן אֲחִיעֶזֶר בֶּן־עַמִּישַׁדָּי׃
Quand l'homme a fait croître la connaissance de la foi dans le cœur de ses semblables, il comprend que la mission est immense ... Il lui faut donc une aide, l'aide de son frère. Ainsi de petits comités de gens de foi se créent qui ont pour but de diffuser l'importance de la foi et la connaissance d'Hachem : c'est A'hiezer, l'aide (ezer) de a'hi (mon frère).
Il est le fils de Amichaday, car en faisant participer le peuple à sa sainte mission, il retire les rigueurs qui pèsent sur le peuple lui-même : Amichaday - On dit day ! Assez aux rigueurs de ami, mon peuple.
10. Paguiel ben Okhran
(Bamidbar 1, 13) לְאָשֵׁר פַּגְעִיאֵל בֶּן־עָכְרָן׃
Mais la foi seule ne suffit pas. Il faut la lier à la prière, appelée péguia par nos maîtres de mémoire bénie. Péguia : la rencontre par excellence. C'est grâce à la prière qu'on parvient à clarifier sa foi, en la rendant plus limpide.
Ainsi, en demandant à Hachem la foi et en recevant de Lui l'aide nécessaire pour grandir dans la foi, tout ce qui troublait la foi c'est à dire les doutes, disparaissent. Tel est le sens de Okhran, soit ce qui est troubléokhr - noun (lettre qui est lié à niven, qui signifie s'atrophier, dégénérer) : ainsi les doutes qui viennent troubler notre foi disparaissent.
11. Eliyassaf ben Deouel
(Bamidbar 1, 14) לְגָד אֶלְיָסָף בֶּן־דְּעוּאֵל׃
La croissance de la foi passe par la prière mais aussi par l'étude de la Torah. On doit être animé d'un grand désir pour la Torah, ce qui nous amènera à l'étudier davantage. Ainsi on sera mossif bakedoucha, on ajoutera à la sainteté. Eliyassaf : Mon D. (E-li) ajoutera (yassaf) de la sagesse.
Mais cette sagesse n'a pas pour but de flatter mon égo, elle ne poursuit qu'une seule finalité : être dirigée vers les autres, en leur faisant prendre conscience que Déou - E-l ! Sachez que D. existe ! Qu'il existe une Puissance infinie qui vous a donné la vie, et qui s'occupe personnellement de vous !
12. A'hira ben Enan
(Bamidbar 1, 15) לְנַפְתָּלִי אֲחִירַע בֶּן־עֵינָן׃
Cependant, on peut observer des personnes récalcitrantes... Malgré tout, les efforts faits pour les aider et les rapprocher du bien, elles restent encore très éloignées de la spiritualité authentique. L'homme pourrait alors tomber dans la tentation de croire que ... A'hi ra ? Mon frère est mauvais, à D. ne plaise ??? Faux. Son comportement provient simplement d'une vision altérée des choses ... Si une personne très myope se promène sans lunettes dans la rue, il faut craindre le pire ... Cette personne que tu perçois comme "mauvaise" a simplement une vision altérée de la réalité.
Elle est appelée ben Einan, soit Aïn-noun (une vision aïn altérée noun-niven). C'est qu'un épais nuage couvre ses yeux (Einan est lié à Anan le nuage). Cependant, nous devons savoir que chaque être dans ce monde a été créé pour la gloire du Créateur. Tôt ou tard, chaque personne suivra l'appel de son âme, l'appel de la Torah dont l'écho résonne encore 3327 ans après et qui proclame : Jusqu'à quand ... ! (3)
Hag chavouot saméah.
© Samuel Darmon et/ou © Institut Rabbi Yesha'ya. Editions Bakish.
Mis en ligne le 20 mai 2015.
[1] L'auteur du texte est présenté dans une autre page de ce site (voir: https://editionsbakish.com/node/1649).
(2) Le dictionnaire de M. Cohen confirme bien : our a le sens de feu.
(3) Voir les autres drachot de l'auteur, sur ce site.