Le Talmud de Babylone
On considère généralement que le Talmud de Babylone [1] a été rédigé par les Académies babyloniennes de Soura, Néhardéa et Poumbédita pendant les 4ème et 5ème siècle de l’ère courante (par R’ Achi, Ravina et leurs collègues et qu’il a été achevé par R’ Yossé vers 500). Cependant le texte n’a été stabilisé que vers le milieu du 8ème siècle ; pendant ces deux siècles et demi, le texte a continué à évoluer. Aujourd’hui, le travail effectué par les Saboraïm[2] (successeurs des Amoraïm) est de plus en plus reconnu comme important. Ce travail concerne non seulement des finitions et des mises en ordre mais il semble aller bien au-delà de retouches limitées[3]. Le Talmud de Babylone est plus complet que le Talmud de Jérusalem, et c’est pourquoi il fait autorité. Plus achevé, il inclut des enseignements de plus de générations de maîtres que le Talmud de Jérusalem.
L’étude du Talmud repose sur les traités eux-mêmes et sur les analyses des commentaires. Une étude de base se fait classiquement à partir des écrits de Rachi et des commentaires des Tossafistes (Ba’alé haTossafot – « auteurs des ajouts » [4]) : ces derniers comparent des passages sur des sujets similaires dans différentes pages ou traités du Talmud et tentent le cas échéant d’en expliquer les différences et d’aplanir les difficultés pour en comprendre le sens. Cette méthode conduit parfois les tossafistes à se démarquer de l’explication donnée par Rachi sur certains passages[5].
Les enseignements du Talmud contiennent notamment des controverses entre Sages pour connaître par exemple la source d’une loi dans la Torah écrite. La controverse n’existait pas depuis Yéhochoua’ jusqu’au siècle précédent la destruction du Temple (soit quelque 1300 ans) ; alors, toute question relative à la loi était tranchée par le Sanhédrin. C’est parce que la qualité de la transmission risquait de diminuer à cause du contexte socio-politique de l’époque, qu’il a fallu mettre par écrit la Torah orale. D’où le soin mis aux discussions et argumentations avancées.
La forme
Le Talmud est organisé en six ordres divisés en traités : ces Ordres sont parfois désignés par l’abréviation זמן נקת "ZMN NKT" vocalisé ZeMaNe NAKaTe- chaque lettre est l’initiale d’un ordre[6]). Le Talmud Babli expose la loi orale et ses commentaires de cette loi, la discussion étant présente partout. La première édition complète a été publiée à Venise (Bromberg, 1520-1523). Le commentaire est accompagné de sur-commentaires écrits à différentes époques (ceux de Rachi et des Tossafistes ont été écrits en Europe – principalement France et Allemagne).
Le Talmud de Babylone comprend une vingtaine de gros volumes totalisant 37 traités sur les 63 de la michna; 309 sections dites chapitres (au pluriel : prakim au singulier : pérèk) ; près de 6000 pages[7] imprimées : soit environ 2683, 2555, 2711 ou 2743 feuilles[8] comportant chacune deux faces ou "pages" soit un recto et un verso. Nous présentons ci-après les tableaux récapitulatifs des Ordres et traités de la Michna, de la Tossefta, du Talmud Babli (T.B) et du Talmud Yérouchalmi (T.Y.). Ci-après, pour chacun des ordres, sont indiqués les noms des 63 traités, leurs sujets respectifs[9], ainsi que le nombre de chapitres de la Michna, de michnaïot, le nombre de chapitres de la Tossefta, le nombre de pages du T.B. et T.Y. On le verra, chaque traité de la Michna n’est pas repris ou développé dans la Tossefta, ou le Talmud (T.B. ou T.Y.)[10]. Il apparaît qu’au total, on obtient 619 chapitres de la Michna; 4206 michnaïot dans l’ensemble des traités de la Michna[11] ; 500 chapitres de la Tossefta; 2743 feuilles recto-verso du Talmud de Babylonne ; 1552 feuilles recto-verso du Talmud de Jérusalem[12].
Les manuscrits et éditions imprimées
La rareté des exemplaires manuscrits complets du Talmud de Babylone tient à la longueur de cet ouvrage (2,5 millions de mots !) ainsi qu’aux persécutions. Les manuscrits complets étaient rares, certains traités étant plus étudiés que d’autres) : le maître de Rachi n’avait pu étudier le manuscrit de ‘Aboda Zara, n’ayant jamais pu se le procurer[13]. Nous sont parvenus[14] : de longs fragments proviennent de la Géniza du Caire, certains datant du 9ème siècle ; le manuscrit de Leningrad-Firkovich (1112), mal conservé (177 feuillets) ; le manuscrit d’Oxford (1123), incomplet ; le manuscrit de Florence (1177) contient un tiers des textes du T.B ; et le manuscrit de Munich (1342, ashkénaze) le seul à être complet (18 feuilles manquent).
La présentation actuelle suit la disposition typographique de l’édition Romm de Vilna, qui comprend aussi plusieurs commentaires (1880-1886)[15]. Cette présentation résulte de quatre siècles d’innovations et de recherches entreprises par les imprimeurs. La première impression de traités du Talmud de Babylone commence dès 1482, en Espagne (Galdalajara), suivie par celle lancée par la famille Alkabets Après l’expulsion, cette même famille a entrepris une autre édition à Salonique. Au 16ème siècle, plusieurs éditions ont vu le jour : entre 1484 et 1519, au moins 25 traités furent imprimés à Soncino (Lombardie, Italie) et ses environs. Entre 1516 et 1521 quelques traités furent imprimés à Fès[16], d’autres censurés à Bâle (1578-1580).
C’est à un non-juif de Venise, Daniel Bomberg, que l’on doit les premières versions intégrales du Talmud de Babylone, dont la première édition a été effectuée entre 1520 et 1523 et dont la seconde a été achevée en 1531. Aujourd’hui encore, cet œuvre doit une part de son apparence extérieure à cette édition Bomberg : étonnante pagination des traités (la page 1 étant réservée aux pages de garde, chaque traité commence en fait par une page 2) ; indication d’un feuillet (‘amoud) « a » (recto) et « b » (verso) pour chaque page (daf) ; ajout des commentaires de Rachi et des Tossafot autour de la partie centrale de la page qui porte le texte du Talmud.
Parmi les nombreuses éditions suivantes, notons celle de Cracovie qui restitue les passages expurgés et reprend le traité ‘Avoda zara, et celle de Slavuta (fin du 18ème s.) par les frères Szapira. Mais c’est à Vilna que fut publiée l’édition Romm comprenant de nombreux commentaires (1880-1886). Depuis le 20ème s., les éditions se sont multipliées[17], ainsi que les traductions (anglaises : Soncino, Artscroll; françaises : Rabbinat français ; Artscroll, éd. Safra ; Bnei Torah).
Le texte des traités est accessible en ligne (www.mechon-mamre.org). Les images des pages du Talmud sont accessibles en ligne (www.e-daf.com/) avec des commentaires, notamment utiles pour l’étude quotidienne d’une page (daf hayomi).
[1] Talmud Babli (תלמוד בבלי). Editions en ligne : Makhon Mamré (2002) selon l’édition de Vilna, http://www.mechon-mamre.org . De nombreuses abréviations (initiales hébraïques) sont utilisées. Editions françaises : plusieurs traités ont été traduits par les Chantiers du Rabbinat (R’ Israël Salzer); Artscroll (anglais et français) ; Ed. R’ A. Steinsaltz; Ed. Soncino, (1935-48). Ed. R’ Dr. Isidore Epstein, Jews’ College, London – 35 volumes; éd. 1961 en 18 volumes. Index (http://come-and-hear.com/talmud/index.html, consult. 2013).
[2] La période des Saboraïm va de 500 à 589 selon Chérira Gaon (mais jusqu’en 689 selon l’opinion de R’ Abraham ben Daoud). Le période du gaonat s’étend jusqu’à 1038 (R’ ‘Haï Gaon à Poumbédita ; et R’ Chémouel Hacohen ben ‘Hofni à Sura).
[3] Voir: Strack H. L. & Stemberger G. (2007), pp. 242-243.
[4] Parmi les principaux tossafistes : R’Ya’akov ben Meïr (1100-1171) dit Rabbénou Tam (petit-fils de Rachi) et R’ Yits’hak ben Shémouel de Dampierre (le RY hazaken).
[5] Rien n’interdit de tenter de comprendre seul dans un premier temps; R’ E. Chouchena qui agissait de la sorte disait avec humour : « D’abord Rochi (ma tête), et après Rachi ». Il tentait de comprendre le texte sans l’aide de Rachi dans un premier temps. (Cité dans la biographie du Rav par E. S. Halimi, 2012, p. 239).
[6] Ordres : Zéra'im, Mo'èd, Nachim, Nézikin, Kodachim, Taharot. Voir la liste des traités dans les tableaux ci-après.
[7] Au pluriel : ‘amoudim ; au singulier : ‘amoud.
[8] Au pluriel : dapim ; au singulier : daf. Le nombre de feuilles peut différer selon les éditions (changements typographiques mineurs). On identifie le recto de chaque daf par la page suivie d’un point [par ex. « 60. » (on dit aleph, ou a)] et verso par deux points « 60: » (on dit beth ou b).
[9] Diverses sources, dont Communauté on line : http://www.col.fr/article-45.html (mai 2005).
[10] Pour une introduction au Talmud, à la composition des ordres et traités de la Michna et du Talmud, aux textes rabbiniques, voir : R’ A. Steinsaltz, Introduction au Talmud, A. Michel, Paris, 1987 et 2002; R’ A. Steinsaltz (1995), Le Talmud. Guide et lexiques, FSJU/Ramsay, 290 p. ; R’ Marc-Alain Ouaknin « Introduction à la littérature talmudique », dans Aggaddoth du Talmud de Babylone, Verdier (pp. 11-31). Début d’index thématique du Talmud http://www.aishdas.org/webshas/engindex.htm (oct. 2003).
[11] Source- Fiche établie pour un concours européen: le 27ème Siyoum hamichnayot (15-19 sivan 5765). Remerciements à Marcel Mékiès הי"ו, Directeur de l’Ecole juive de Montpellier.
[12] Voir: Adin Steinsaltz (2002), Introduction au Talmud, pp. 311-319 ; Le Talmud Edition Steinsaltz, Guide et lexiques, Fonds Social Juif Unifié et Editions Ramsay, 1995, pp. 43-44.
[13] Steinsaltz (2002), Introduction au Talmud, Albin Michel, Paris, p. 88.
[14] Strack H. L. & Stemberger G. (2007), p. 246.
[15] Au pluriel : ‘amoudim ; au singulier : ‘amoud.
[16] Un seul nous est parvenu dans son intégralité. Strack H. L. & Stemberger G. (2007), Introduction au Talmud et au Midrash. 7e ed. Trad. fr., p. 249.
[17] Depuis 1972, Ed. Liss, Jérusalem. Elle ajoute à l’édition Romm des précisions fondées sur les citations médiévales et la gueniza. Kétoubot (1977) ; Sota (1979) ; Yébamot (1983). Edition par R’ A. Steinsaltz : le texte vocalisé est accompagné d’un commentaire de l’éditeur.