וְאִשָּׁ֣ה אַחַ֣ת
Le prophète Elicha’ (Elisée), comme Abraham, savait se mettre au service de son prochain.
Dans cette haftara [1] on découvre un homme qui aide la veuve d’un prophète [2] venue lui exposer sa détresse: וְהַ֨נֹּשֶׁ֔ה בָּ֗א לָקַ֜חַת אֶת־שְׁנֵ֧י יְלָדַ֛י ל֖וֹ לַֽעֲבָדִֽים׃ « L’usurier est venu prendre mes deux enfants pour esclaves » (II Mélakhim 4,1). Elicha’ chercha un moyen pour l’aider:מָ֣ה אֶֽעֱשֶׂה־לָּ֔ךְ« Que ferai-je pour toi ? » Il lui demanda de lui dire ce qu’il y avait dans la maison. Comme elle lui répondit qu’elle n’a rien hormis un peu d’huile, il l’envoya emprunter un maximum de récipients chez ses voisines [3]. Il lui dit qu’une fois de retour, elle pourrait remplir tous les récipients disponibles à partir de sa cruche pleine devenue une source d'huile intarissable (du moins tant que des récipients vides seraient disponibles). . וַיְהִ֣י ׀ כִּמְלֹ֣את הַכֵּלִ֗ים וַתֹּ֤אמֶר אֶל־בְּנָהּ֙ הַגִּ֨ישָׁה אֵלַ֥י עוֹד֙ כֶּ֔לִי וַיֹּ֣אמֶר אֵלֶ֔יהָ אֵ֥ין ע֖וֹד כֶּ֑לִי וַֽיַּעֲמֹ֖ד הַשָּֽׁמֶן׃ « Et c’est quand les récipients furent pleins, elle dit à son fils: ‘Avance-moi encore un récipient’. Il lui dit: ‘Il n’y a plus de récipient !’ Et l’huile s’arrêta. »(II Mélakhim 4,6).
Ce qui a permis le miracle, c’est la foi de cette famille, qui a entièrement fait confiance au prophète. « Un miracle ne se produit qu'en faveur de celui qui y croit vraiment, de celui dont sa foi le persuade qu'un sage, un tsaddik ou un prophète peut provoquer sa venue » [4]. D’ailleurs, les mots du verset impliquent que pendant quelques instants, l’huile a débordé et s’est répandue à terre. L’huile ne s’est arrêtée de couler que lorsque l’enfant a parlé : « le flot d'huile entendit [l’enfant dire ‘il n’y en a plus’] et s'arrêta » [5]. C’est grâce à cette huile qu'Elicha' procura cette famille les moyens de se libérer de sa dette envers son créancier, le reste lui procurant de quoi pourvoir à ses besoins et à ceux de ses enfants [6] (II Mélakhim 4,2-7).
Le texte indique ensuite qu'alors que le prophète passait par la localité de Chounèm [7] (וַיַּֽעֲבֹ֧ר אֱלִישָׁ֣ע אֶל־שׁוּנֵ֗ם), une femme décida de lui apporter de l’aide [8]. Elle obtint l’accord de son époux pour aménager un logement à l’homme de Dieu et elle lui procura le gîte et le couvert. On remarque ici que le confort minimum est ainsi défini par le verset : מִטָּ֥ה וְשֻׁלְחָ֖ן וְכִסֵּ֣א וּמְנוֹרָ֑ה« lit, table, siège et lampe » (II Mélakhim 4,10).
Quelques temps plus tard, Elicha’, reconnaissant, la fit appeler par Gué’hazi son jeune serviteur [9]. Il voulait la remercier de ses bienfaits et lui proposer de l’aide en retour. On voit aussi bien le prophète que la Chounamite se conduire ici avec décence (tsniout). Le prophète ne s’adresse pas directement à elle ; c’est son serviteur qui rapporte les paroles de son maître. « Il lui dit [à Gué’hazi [10]]: ‘Dis-lui donc’ [à la femme [11]] » וַיֹּ֣אמֶר ל֗וֹ אֱמָר־נָ֣א אֵלֶיהָ֮ ). Quant à elle, elle se tenait face à l’adolescent qui lui rapportait les paroles de son maitre וַיִּ֨קְרָא־לָ֔הּ וַֽתַּעֲמֹ֖ד לְפָנָֽיו׃ « Il [Gué’hazi] l’appelle ; elle se tient devant lui [Gué’hazi] » (4,12). Le même comportement se remarque ensuite וַיִּ֨קְרָא־לָ֔הּ וַֽתַּעֲמֹ֖ד בַּפָּֽתַח׃« Il [Gué’hazi] l’appelle ; elle se tient à la porte » (4,15) [12]. L’aide offerte par Elicha’ est potentiellement importante ; il proposait de parler en sa faveur au roi ou à un autre personnage important [13]. On note ici que, malgré sa pauvreté, Elicha’ semblait disposer d’une certaine influence sur Yéhoram ben A’hab roi dont la Torah ne parle pas en bien [14] qui à cette époque régnait sur le royaume d'Israël. La réponse de cette femme montre qu’elle sait se contenter de ce dont elle dispose ; même la perspective d’une aide royale la laisse parfaitement indifférente. בְּת֥וֹךְ עַמִּ֖י אָֽנֹכִ֥י יֹשָֽׁבֶת׃explique-t-elle :« [C’est] au milieu de mon peuple [que] je réside » (4,13).
Alors que le prophète se demande comment témoigner sa reconnaissance à une personne qui n’a pas de grands besoins, Gué’hazi lui fait remarquer בֵּ֥ן אֵֽין־לָ֖הּ וְאִישָׁ֥הּ זָקֵֽן׃ « Elle n’a pas de fils et son homme est vieux » (4,14). On se retrouve ici avec un autre thème commun avec le récit de la paracha : une femme mariée à un vieil homme n’a pas de fils. Alors qu’un ange a promis à Abraham et Sarah d’enfanter ; ici, c’est le prophète qui promet à la Chounamite qu’elle aura un fils. Comme Sarah dans la paracha, elle ne va pas le croire à cette annonce prophétique אַל־תְּכַזֵּ֖ב בְּשִׁפְחָתֶֽךָ׃ « Ne trompe pas ta servante » (4,16). Dans un cas comme dans l’autre, la femme conçoit et porte un enfant ainsi que cela a été annoncé. Ainsi en fut-il pour Sarah וַתֵּ֨לֶד שָׂרָ֧ה לְאַבְרָהָ֛ם בֵּ֖ן לִזְקֻנָ֑יו לַמּוֹעֵ֕ד אֲשֶׁר־דִּבֶּ֥ר אֹת֖וֹ אֱלֹהִֽים׃ « Sara enfante à Abrahâm un fils… » (Béréchit 21, 1-2). De même en fut-il pour la Chounamiteוַתַּ֥הַר הָֽאִשָּׁ֖ה וַתֵּ֣לֶד בֵּ֑ן לַמּוֹעֵ֤ד הַזֶּה֙ כָּעֵ֣ת חַיָּ֔ה אֲשֶׁר־דִּבֶּ֥ר אֵלֶ֖יהָ אֱלִישָֽׁע׃ « La femme est enceinte et elle enfante un fils à l’époque…dont lui avait parlé Èlisha‘ » (II Mélakhim 4,17) Tant dans la paracha que dans la haftara, des femmes sans enfant obtiennent du Ciel l’assurance qu’elles enfanteront et elles donnent naissance à un fils qu’elles n’espéraient plus.
Alors commence la troisième partie de cette haftara qui s’ouvre par un drame : le fils né de la bérakah et qui avait grandit, tomba subitement malade et la mère exprime sa détresse. De nouveau apparaît un thème commun à la paracha et à la haftara : dans les deux cas, l’enfant né miraculeusement est menacé de mort. C’est la ligature de Yits’hak pour la paracha (Béréchit 22, 11-12) et la mort de l’enfant dans la haftara (II Mélakhim 4,32-37). Le fils de la Chounamite est mort en effet : L’enfant est ramené des champs où il était avec son père parmi les moissonneurs ; reconduit chez sa mère, וַיֵּ֧שֶׁבעַל־בִּרְכֶּ֛יהָ עַד־הַֽצָּהֳרַ֖יִם וַיָּמֹֽת׃ « il reste sur ses genoux jusqu’à midi puis il meurt »(II Mélakhim 4,21).
Dans les deux cas l’enfant va être sauvé : par Hachèm qui arrête Abraham prêt à sacrifier son fils, et par le prophète Elicha’. La Chounamite qui avait qualifié le prophète de אִ֣ישׁ הָֽאֱלֹהִ֔ים « homme de Dieu » (4,17) pense immédiatement à demander l’aide de Hachèm et de son prophète. Elle commence par placer son fils sur le lit qu’elle avait mis à la disposition d’ Elicha’ (4,21) puis informe son mari qu’elle va se rendre auprès du prophète et réclame un âne et un serviteur pour l’accompagner jusqu’au prophète. La confiance de la Chounamite est entière : ne lui avait-il pas promis son aide lorsqu’elle ne demandait rien ? Mais le mari, étonné par un tel projet demande : pourquoi y aller en ce jour qui n’est pas le jour habituel pour visiter le prophète, comme ça le serait à l’occasion d’un début de mois ou d’un chabbat (4,23)[15]. Pressée par l’urgence de la situation, ne perdant pas de temps en explications inutiles, elle n’entre pas en discussion. Ayant obtenu l’âne et le serviteur dont elle avait besoin, elle se contente de prendre congé de son mari par une brève salutation : שָׁלֽוֹם« Chalom ! » [16]. De fait, le prophète va rendre la vie à l’enfant qui ouvre les yeux וַיִּפְקַ֥ח הַנַּ֖עַר אֶת־עֵינָֽיו׃ (4, 35). Ce sujet sera développé dans la suite du texte (qui selon certains rites fait aussi partie de la haftara). On retrouve là un nouveau parallèle avec la paracha de la semaine [17]. L’intervention du prophète Elicha’ donne l’occasion d’aborder la question de l’intervention du médecin du point de vue rabbinique (voir la dracha suivante).
[1] Ce récit se situe avant la destruction du premier Temple.
[3] וַיֹּ֗אמֶר לְכִ֨י שַֽׁאֲלִי־לָ֤ךְ כֵּלִים֙ מִן־הַח֔וּץ מֵאֵ֖ת כָּל־שכנכי (שְׁכֵנָ֑יִךְ) כֵּלִ֥ים רֵקִ֖ים אַל־תַּמְעִֽיטִי׃ וּבָ֗את וְסָגַ֤רְתְּ הַדֶּ֨לֶת֙ בַּֽעֲדֵ֣ךְ וּבְעַד־בָּנַ֔יִךְ וְיָצַ֕קְתְּ עַ֥ל כָּל־הַכֵּלִ֖ים הָאֵ֑לֶּה וְהַמָּלֵ֖א תַּסִּֽיעִי׃. « Il dit: ‘Va, demande pour toi des récipients du dehors, de tous tes voisins, des récipients vides. Ne restreint pas [ta demande de récipients]. Puis viens et ferme la porte sur toi et tes fils. Et fais couler [l’huile du récipient initialement plein] dans tous ces récipients et [au fur et à mesure,] lorsqu’ils seront pleins retire les » (II Mélakhim 4,3-4).
[4] R’ J. Kohn (1997), p. 24.
[5] Midrach rapporté par Radak et R’ Bergman, Séfer Cha 'arei ora ( cit. R’ J. Kohn, 1997, pp. 22-24).
[6] לְכִי֙ מִכְרִ֣י אֶת־הַשֶּׁ֔מֶן וְשַׁלְּמִ֖י אֶת־נשיכי (נִשְׁיֵ֑ךְ) וְאַ֣תְּ בניכי (וּבָנַ֔יִךְ) תִּֽחְיִ֖י בַּנּוֹתָֽר׃ « Va, vends l’huile et paye ton usurier ; toi et tes fils vous vivrez avec le reste » (4,7).
[7] Cette localité se situe au nord-ouest du pays, l’appellation « la Chounamite » en découle שּֽׁוּנַמִּ֣ית(II Mélakhim 4,12). Abichag, la très belle jeune fille qui fut placée près du roi David dans sa vieillesse était aussi une Chounamite : וַֽיִּמְצְא֗וּ אֶת־אֲבִישַׁג֙ הַשּׁ֣וּנַמִּ֔ית (I Mélakhim 1,3).
[8] R’ Chaïm Miller signale une lecture ne relevant pas du pchat (lecture littérale) : וְאִשָּׁ֣ה אַחַ֣ת (4,1) c’est l’âme, qui, exilée dans un corps est veuve de la proximité avec Hachèm (d’après R’ M.M. Schneerson, Likouté sichos, vol. 5, p. 335 - cit. 2006, Gutnick Ed., p. 11).
[9] Le texte précise sans ambigüité qu’il ne s’agissait pas d’un adulte mais d’un jeune נַֽעֲר֔וֹ (II Mélakhim 4,12).
[10] On remarque le mot ל֗וֹ « à lui » au masculin, et souligné par le ta’am disjonctif rabia’ qui met ce mot bien en valeur.
[11] On remarque le féminin אֵלֶיהָ֮ souligné par le ta’am disjonctif zarka.
[12] Il en ira de même plus loin lorsqu’il chargera Gué'hazi d’appeler la femme pour qu’elle reprenne son fils de nouveau en vie. וַיִּקְרָ֣א אֶל־גֵּֽיחֲזִ֗י וַיֹּ֨אמֶר֙ קְרָא֙ אֶל־הַשֻּֽׁנַמִּ֣ית הַזֹּ֔את וַיִּקְרָאֶ֖הָ וַתָּבֹ֣א אֵלָ֑יו וַיֹּ֖אמֶר שְׂאִ֥י בְנֵֽךְ׃ (4,36).
[13]מֶ֚ה לַֽעֲשׂ֣וֹת לָ֔ךְ הֲיֵ֤שׁ לְדַבֶּר־לָךְ֙ אֶל־הַמֶּ֔לֶךְ א֖וֹ אֶל־שַׂ֣ר הַצָּבָ֑א וַתֹּ֕אמֶר בְּת֥וֹךְ עַמִּ֖י אָֽנֹכִ֥י יֹשָֽׁבֶת׃ « Que [puis-je] faire pour toi ? Faut-il parler pour toi au roi ou au chef de l’armée ? » (II Mélakhim 4,13).
[14] וַיַּֽעֲשֶׂ֤ה הָרַע֙ בְּעֵינֵ֣י יְהוָ֔ה רַ֕ק לֹ֥א כְאָבִ֖יו וּכְאִמּ֑וֹ וַיָּ֨סַר֙ אֶת־מַצְּבַ֣ת הַבַּ֔עַל אֲשֶׁ֥ר עָשָׂ֖ה אָבִֽיו׃ ג רַ֠ק בְּחַטֹּ֞אות יָֽרָבְעָ֧ם בֶּֽן־נְבָ֛ט אֲשֶׁר־הֶֽחֱטִ֥יא אֶת־יִשְׂרָאֵ֖ל דָּבֵ֑ק לֹא־סָ֖ר מִמֶּֽנָּה׃ « II fit ce qui déplaît aux yeux de Hachèm bien que différemment de ce que firent son père et sa mère. Il fit retirer [litt. écarta] la stèle de Ba’al que fit son père. Mais il colle, sans s'en écarter, aux voies perverses de Yérobob'am, fils de Nébat, qui avait fait fauter Israël » (II Mélakhim 3, 2-3). Or, « il ne pourrait exister pire disqualification que la comparaison avec Yérob'am, de triste mémoire »comme le note R’ Ch. Aviner (5763), p. 31. Malgré cette situation, le prophète considérait qu’il était préférable pour le peuple d'être régi par le roi d’Israël, même coupable, que de tomber aux mains de ses ennemis ; aussi ne manqua-t-il pas une occasion d’aider le roi pour le bien de son peuple. De ce fait, le prophète savait que le roi lui était reconnaissant d’un soutien sans faille contre ses ennemis extérieurs ; il ne pourrait rester sourd à sa demande s’il plaidait pour cette femme de Choulen.
[15]וַיֹּ֗אמֶר מַ֠דּוּעַ אתי (אַ֣תְּ) הלכתי (הֹלֶ֤כֶת) אֵלָיו֙ הַיּ֔וֹם לֹא־חֹ֖דֶשׁ וְלֹ֣א שַׁבָּ֑ת (II Mélakhim 4,23).
[16] וַתֹּ֖אמֶר שָׁלֽוֹם׃ (II Mélakhim 4, 23).
[17] Le Midrach rapporte que, lorsque Yits’hak est né, le roi Gog a affirmé que l’enfant ne vivrait pas longtemps. Hachèm a affirmé alors que non seulement l’enfant vivrait, mais que le roi Gog serait éliminé par les descendants de Yits’hak (Béréchit Raba 53,10; R’ M.M. Schneerson, Likouté sichos, vol. 5, p. 331 - cit. R’ Ch. Miller, 2006, Gutnick éd., p. 13).