La fin de l’aliénation spirituelle
הַֽאֲזִ֥ינוּ הַשָּׁמַ֖יִם וַֽאֲדַבֵּ֑רָה וְתִשְׁמַ֥ע הָאָ֖רֶץ אִמְרֵי־פִֽי׃
« Prêtez l’oreille Cieux, et je parlerai ; et écoute, Terre, les dires de ma bouche » (Dévarim 32, 1).
C’est par ces mots de Moché que commence cette paracha. Le Midrach accorde une grande attention aux nuances de l’expression de Moché : pourquoi utilise-t-il les mots « prêtez l’oreille » en parlant aux Cieux, et le verbe « entendre » pour s’adresser à la Terre [1]. L’utilisation d’un verbe construit avec le mot oreille [2] traduit une certaine familiarité de Moché à l’égard des Cieux, alors que sa manière de parler à la terre exprime plus de distance. Or, le choix des mots est exactement inversé par rapport à ce qu’exprime le prophète Yécha’yahou (Isaïe) au tout début de son livre: שִׁמְע֤וּ שָׁמַ֨יִם֙ וְהַֽאֲזִ֣ינִי אֶ֔רֶץ « Ecoutez Cieux, et prête l’oreille, Terre » (Yécha’yahou /Isaïe 1, 2) [3].
Que faut-il penser de cela [4] ? L’enseignement de Moché est à la racine de celui des prophètes. Comment Yécha’yahou, un des plus grands prophètes d’Israël, peut-il s’exprimer en inversant les termes de Moché [5] ? Abaissait-il le niveau d’aspiration ? Non ! Ses mots traduisent une familiarité à l’égard de la Terre, et une distance à l’égard des Cieux [6]. Ce faisant, il définissait un niveau encore plus élevé, malgré le paradoxe apparent. Le Ciel, fait allusion à la Torah, qui contient la parole divine. La Terre au contraire, fait allusion aux actions humaines qui doivent être conformes à la Torah. L’être humain doit étudier la parole divine et la manière de les appliquer à la vie courante. Mais tel n’est pas l’aboutissement de sa démarche spirituelle, comme l’enseigne R’ Chim’on ben Gamliel ולא המדרש הוא העיקר, אלא המעשה; « L’étude, ce n’est pas l’essentiel ; mais [c’est] l’action [qui l’est] »[7]. On comprend mieux à présent la différence des termes de Yécha’yahou : שִׁמְע֤וּ שָׁמַ֨יִם֙ וְהַֽאֲזִ֣ינִי אֶ֔רֶץ termes différents de ceux de Mochéהַֽאֲזִ֥ינוּ הַשָּׁמַ֖יִם וַֽאֲדַבֵּ֑רָה וְתִשְׁמַ֥ע הָאָ֖רֶץ אִמְרֵי־פִֽי׃. La Torah fut reçue par Moché, proche du Ciel ; mais c’est Yécha’yahou qui incarne la prophétie et la rédemption future, comme le dit la guémara : le livre de Yécha’yahou « parle uniquement de consolation »[8]. C’est Yécha’yahou qui est en mesure de nous guider vers la rédemption future.
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NOTES
[1] Sifri, sur Ha-azinou, et Zohar sur Ha-azinou, p. 286b, cit. R’ Ména’hem Mendel Schneerson, Likouté si’hot, vol. IX pp. 204-214 (Réflexions sur la Torah, 1983, p. 308).
[2] On retrouve ce verbe lorsqu’Èlihou s’adresse à Iyob : הַאֲזִינוּ לִי. (Iyob/Job 34,2). Bien que plus jeune que les trois amis de Iyob, c’est lui qui s’avère le plus sage. Et il en a conscience.
[3] שִׁמְע֤וּ שָׁמַ֨יִם֙ וְהַֽאֲזִ֣ינִי אֶ֔רֶץ כִּ֥י יְיָ דִּבֵּ֑ר בָּנִים֙ גִּדַּ֣לְתִּי וְרוֹמַ֔מְתִּי וְהֵ֖ם פָּ֥שְׁעוּ בִֽי׃
[4] Dracha inspirée par R’ M.M. Schneerson, Likouté si’hot, vol. IX pp. 204-214, cit : Réflexions sur la Torah, 1983, pp. 308-315.
[5] D’autant que ces paroles de Yécha’yahou ont été prononcées dans le prolongement de l’oraison de Moché (Midrach Yalkout, haazinou 385 et Sifri, cit. R’ M.M. Schneerson, Likouté si’hot, vol. IX pp. 204-214).
[6] Ce que confirme le Midrach: Yécha’yahou « était éloigné des cieux… et proche de la terre ». Cit. R’ M.M. Schneerson, Likouté si’hot, vol. IX pp. 204-214.
[7] Michna Abbot 1,17.
[8] וישעיה כוליה נחמתא (T.B. Baba Batra, 14b).