TEMPS MODERNES (APRES 1492- 18ème SIECLE)
Peu nombreux sont les témoignages sur l'arrivée des Juifs espagnols et portugais au Maroc après 1492. Un historien de l'expulsion de 1492, en a dénombré quinze: témoignages de rabbins réfugiés et récits d'historiens juifs du XVIe siècle.
Dans son livre intitulé La vallée des larmes, le rabbin Joseph Ha-Cohen présente cet exil de la façon suivante: "toutes les cohortes du Seigneur, les exilés de Jérusalem en Espagne, quittèrent cette contrée maudite le cinquième mois de l'année 5252, c'est-à-dire en 1492, et de là se dispersèrent aux quatre coins de la terre. Du port de Carthagène sortirent, le 16 du mois d'Ab, seize grands navires chargés de bétail humain, et il en fut de même dans les autres provinces. Les Juifs s'en allèrent où le vent les poussa, en Afrique, en Asie, en Grèce et en Turquie, pays qu'ils habitent encore de nos jours. D'accablantes souffrances et des douleurs aiguës les assaillirent, les marins génois les maltraitèrent cruellement. Ces créatures infortunées mouraient de désespoir pendant leur route: les musulmans en éventrèrent pour extraire de leurs entrailles l'or qu'elles avaient avalé pour le cacher, et en jetèrent d'autres dans les flots; il y en eut qui furent consumées par la peste et par la faim; d'autres furent débarquées nues par le capitaine du vaisseau dans des îles désertes; d'autres encore, en cette année de malheur, vendues comme esclaves dans Gênes, la superbe et dans les villes soumises à son obéissance... Il en resta beaucoup en Espagne, qui n'avaient pas eu la force de partir ou dont D.ieu n'avait pas touché le coeur, et multitude, à cette époque, apostasièrent... Mais à présent, ô mon D-ieu, ne reste pas éloigné, hâte-toi de nous secourir, car c'est pour toi qu'on nous égorge tous les jours et qu'on nous considère comme les brebis destinées à la boucherie. Accours à notre aide, Dieu de notre salut, soutiens notre cause et sauve-nous pour l'amour de ton nom!".
Les Juifs de Castille se retrouvent en nombre dans les ports de Cadix, Malaga, Alméria, afin de gagner le Maghreb. Ils ne purent emporter ni or, ni joaillerie. Seuls, les Juifs de Grenade sous la protection du roi musulman de cette ville, Boabdil, purent emporter l'essentiel de leurs richesses: ce roi avait en effet négocié les conditions de sa reddition. La traversée fut risquée pour les exilés: quelques bateaux surchargés sont pris par les pirates et nombreux passagers furent emmenés en esclavage, d'autres navires ont coulé, car l'afflux de la demande de transport a fait mettre en service des rafiots parfois incapable de supporter la traversée.
On estime à 70000, le nombre des Juifs de Castille et du sud-est de l'Espagne qui se dirigèrent vers l'Afrique du Nord. Sur ce nombre, 30000 ont dû se diriger vers l'Algérie dont 12000 à Tlemcem et 40000 au Maroc. Dans ce pays, ce furent les ports d'Arzila, Salé, Badis et Larache qui virent arriver les réfugiés. Une flotte de vingt bateaux appareilla pour le Maroc à partir du port de Santa- Maria, proche de Cadix. Sur ce nombre, trois ont sombré, et les 17 autres finirent par arriver au Maroc (après avoir été ramenés en Espagne par le capitaine de la flotte). Environ 10000 personnes débarquèrent à Arzila et à peu près autant dans les trois autres ports. A cette époque, Arzila était aux mains des Portugais qui ne firent rien pour retenir les réfugiés. Les exilés partirent donc pour Fès où ils arrivèrent en novembre 1492. Une autre partie des réfugiés s'installèrent dans les villes voisines de ces ports. Selon Amar, 10000 choisirent les régions côtières, 10000 les villes voisines de Fès, et 20000 autres s'établirent à Fès. Cette capitale comptait alors déjà 10000 Juifs autochtones, certain descendant d'une autre génération d'exilés d'Espagne, partis à la suite des émeutes anti-juives de 1391. La communauté juive de Fès à elle toute seule comptait plus de 5000 familles (20000 personnes?) avant l'épidémie qui la ravagea.