La perpétuation des noms juifs

 

La perpétuation des noms juifs

 

Les noms des Juifs ne laissent pas indifférent : ils renvoient à des enjeux culturels et religieux mais aussi politiques.

Mahmoud Darwich, poète palestinien pourtant qualifié de modéré, a écrit dans un de ses poèmes adressé aux israéliens en 1988: "prenez vos noms et décampez"[1]. L'écrivain israélien Amos Kenan a répondu comme suit: "nos noms sont  gravés sur chaque pierre de notre pays et inscrits sur chaque parchemin enfoui dans notre terre depuis 3500 ans".

A travers leurs pérégrinations historiques, les Juifs ont toujours accordé un soin méticuleux à la perpétuation de leurs noms. Là réside peut-être une cause majeure de la survivance du peuple juif dans l’Egypte de Pharaon et à travers tous les exils de l’histoire.

 

Sait-on que, jusqu'à la destruction du Temple, les autorités religieuses ont tenu des registres généalogiques détaillés ?

Dans l'antiquité juive, les « toldot » établies sur le modèle de la Bible constituaient une sorte d'état-civil. Pour appartenir à une tribu, une personne devait avoir son nom inscrit dans ces registres généalogiques; ces Toldot sont aussi mentionnées sous le nom d’« Ecrit de la maison d’Israël » par le  Prophète Ezechiel. Les noms et leur importance revient à de nombreuses reprises dans le Tanakh*.

Après la captivité de Babylone, quelques familles ne purent faire état de leur filiation exacte et les livres biblique d'Esdras et de Néhémie témoignent des efforts déployés pour combler ces lacunes : des enquêtes généalogiques permirent de rétablir la continuité des générations (shalshelet ha yohashin). Le midrach mentionne aussi l’existence de registres généalogiques « du côté paternel remontant au premier ancêtre de la famille » dans lesquels figuraient les différentes branches issues de la même souche. Des fonctionnaires étaient spécialement affectés à ces fonctions importantes dont dépendaient successions, mariages et pureté sacerdotale : un tribunal fut spécialement instauré en vue de statuer en la matière.

L'historien Flavius Josèphe - contemporain de la destruction du second Temple - nous apprend qu’un registre spécial était réservé aux prêtres. Le Talmud rapporte la perte d'un de ces registres en ces termes : « depuis que le sépher yohashin a été perdu, la puissance des savants s'est affaiblie et la lumière de leurs yeux s'est assombrie ». Plus tard, des registres tenus secrets permettaient d'éviter des mésalliances défendues (mamzérim issus de l'adultère). Les Pharisiens substituèrent à la noblesse du sang celle de la connaissance de la Torah, mais au Moyen-Age encore, certaines familles pouvaient faire remonter leur ascendance jusqu'à David.

 

Des patronymes plus ou moins anciens

A côté de noms antiques (tels Cohen et Levi), d’autres patronymes sont plus ou moins anciens selon leurs origines. Dès le Gaonat (entre 500 et 800) puis au contact des Arabes, les Juifs adoptèrent des patronymes fixes. Avant même la conquête musulmane de l'Espagne, les sépharades se sont transmis leurs noms d'une génération à l'autre et ce, jusqu’à nos jours.

Après l'expulsion de 1492, les rabbins de Fès ont établi, une liste officielle des noms juifs castillans afin de servir à la rédaction des actes d’état-civil : cette liste a été publiée en 1911 par le rabbin J. M. Tolédano   De telles listes de noms, tout comme ceux signalés à diverses occasions fournissent une précieuse  source d'informations sur leur origine, leur formation, leurs nombreuses variantes en caractères latins. Cela est précieux : nombre de noms ont été engloutis dans l’histoire, ou transformés.

L'usage des noms de famille n’était pas général en Europe. Ce n’est qu’en 1808, que les Juifs de l'Empire napoléonien durent déclarer leur patronyme. Lorsqu’ils n’en avaient pas déjà, ils en composèrent (prénoms, nature, métiers, lieux d’origine) et les choix furent parfois différents entre père et fils, ou entre frères. Avec le retour en Israël, pionniers et immigrants ont eu la volonté d’hébraïser leurs noms de nouveau (19ième s. et 20ième s.).

Hillel Bakis 

 

*  Voir par exemple les quelques références suivantes : Genèse 5-1, Nombres 1-18, Esdras 8-1, Nehemie 7-5, Ezechiel 13-9. Mais aussi: Talmud Babli: Pessahim 62b.

 


[1] Ce poème a été compris en Israël comme un appel pour jeter les Juifs à la mer.  

 

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