L’héroïsme de Yaël

 

(c) Hillel Bakis - Ouvrage en cours de rédaction. Texte non définitif (draft)

juin 2016

 

L’héroïsme de Yaël

 

Le général Sisséra, constatant la débâcle de son armée, s’est enfui à pied du champ de bataille. Dans sa fuite, il comprit que sa défaite a des causes surnaturelles : dans l’état de choc dans lequel il se trouvait, il prit conscience qu’une puissance supérieure à ses idoles existait. En plein désarroi, il reconnut la puissance de Hachèm et se demanda s’il ne devait pas se remettre profondément en cause (y compris dans ses actions et ses croyances).  Il envisagea alors de revenir à un meilleur comportement et peut-être même de se convertir à la religion d’Israël. Ces sentiments lui vaudront une récompense du Ciel : plusieurs de ses descendants seront des convertis et des talmidé ‘Hakhamim.  R’ Akiba fut l’un d’eux.

Alors qu’il fuyait à pied, il vit une tente et s’en approcha. C’était la tente de Yaël, la femme de Hèbèr le Kénite. Or ce clan des Kénites, le clan des descendants de Yitro converti au judaïsme ainsi que ses descendants, clan qui était en paix avec le roi cananéen de ‘Hasor (Chofétim 4, 17-22).

Une femme seule se tenait là et lui fit comprendre qu’il devait s’approcher pour échapper aux soldats lancés à sa poursuite. C’était Yaël, la femme de Héber du clan des Kénites (Chofetim 4,17), un clan des descendants de Yitro.

On se souvient que, après le don des Dix Paroles, Yitro a rejoint les Hébreux et s’est converti au judaïsme avec toute sa famille [1]. L’un des groupes familiaux celui de Héber, nomadisait près du Mont Carmel, à quelque distance du champ de bataille.

Yaël l’invita à entrer dans sa tente. Alors, les bonnes dispositions de Sisséra se dissipèrent constatant qu’il se trouvait isolé avec une faible femme : son mauvais penchant reprit le dessus. Yaël comprit que Sisséra était fondamentalement mauvais et que sa pensée de repentir était éphémère. Tant qu’il serait vivant, il représenterait une menace pour les Enfants d’Israël.

Elle décida courageusement de lui tendre un piège [2]. Alors qu’il lui demandait de l’eau, elle lui donna à boire du lait afin de hâter son sommeil. Lorsque Sisséra s’endormit, Yaël prit un marteau et elle se munit de l’un des piquets fixant sa tente : elle posa le piquet contre la tête du général cananéen et l’y enfonça d’un grand coup de marteau. Comme le chantera Déborah : « elle a frappé Sisséra, brisé sa tête ; l’a fendue en lui trouant sa tempe » [3] (Chofétim 5,26) [4].

Pourquoi utilisa-t-elle un piquet pour tuer Sissera ? Ne disposait-t-elle pas d’un couteau de cuisine ou d’une des armes des son mari ? Le tranchant d’une lame de métal aurait certainement rendu plus facile la réalisation de son projet. La tradition enseigne que ce choix du piquet témoigne de la grandeur de Yael : si elle n’a pas utilisé une arme, c’est afin d'obéir à la Torah [5]. Il est écrit en effet : לֹֽא־יִהְיֶ֤ה כְלִי־גֶ֨בֶר֙ עַל־אִשָּׁ֔ה וְלֹֽא־יִלְבַּ֥שׁ גֶּ֖בֶר שִׂמְלַ֣ת אִשָּׁ֑ה כִּ֧י תֽוֹעֲבַ֛ת יְיָ ﭏהֶ֖יךָ כָּל־עֹ֥שֵׂה אֵֽלֶּה׃ « II n'y aura pas un vêtement d'homme sur une femme, et l’homme ne se vêtira pas d’un robe de femme ; car quiconque fait ces choses est en abomination à l’Éternel, ton D.ieu » (Dévarim 22,5). Car l’arme, considérée comme un équipement d’homme, pouvait être assimilé à un vêtement (on porte le fourreau de l’épée à la ceinture). Yael a donc préféré éviter une situation où elle risquait d’enfreindre une loi de la Torah. Ce faisant, elle a couru un risque mortel que l’utilisation d’une lame bien aiguisée lui aurait évité [6]. « Cependant, Yael rassembla toutes ses forces spirituelles et parvint à avoir entièrement confiance en un simple pieu, assurée qu'il constituerait une arme suffisante pour permettre à Hachèm de procurer la délivrance à Ses enfants » [7]. Son comportement révèle son haut niveau spirituel: celui des femmes vertueuses de notre peuple qui, même dans les pires moments tel celui qu’a affronté Yael, ne s'autorisent aucune concession par rapport au respect méticuleux de la Torah[8].

Le caractère héroïque de Yaël apparaît mieux encore lorsque l’on sait que Sisséra était un homme d'une force exceptionnelle : ainsi, son hurlement était si fort que les bêtes sauvages en étaient terrorisées [9] et que les murailles s’effondraient devant lui.

L'attitude de Yaël a mérité les éloges de nos Maîtres qui enseignent que l’un des versets de Michlé (Proverbes) est dédié à Déborah ; un verset fait partie du texte où le roi Chélomo décrit les qualités que doit rechercher toute femme [10] יָ֭דֶיהָ שִׁלְּחָ֣ה בַכִּישׁ֑וֹר  וְ֝כַפֶּ֗יהָ תָּ֣מְכוּ פָֽלֶךְ׃ « Elle lance ses mains sur la quenouille, et ses paumes saisissent le fuseau » (Michlé 31,19)[11].

Quand Barak vit réclamer le fugitif, Yaël l’invita à constater que le général cananéen ne représenterait plus jamais une menace pour Israël. 

Après ces événements, on lit : וַתִּשְׁקֹ֥ט הָאָ֖רֶץ אַרְבָּעִ֥ים שָׁנָֽה׃ « la terre se calma quarante ans » (Chofétim 5,31) [12].

 

 

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NOTES

[1] Voir début de la paracha Yitro.

[2] Que se passa-t-il ensuite ? Selon certaines sources, Yael se serait laissé faire, dans l’intention sainte de faire ensuite disparaître cet ennemi d’Israël ; selon d’autres, une démone aurait pris la place de Yael afin de la conserver pure pour son époux.

[3]  On peut noter ici que les prophètes savent manier l’ironie. Sisséra ayant été tué par une femme qui le frappa à la tête, on saisit l’irone des versets suivants, où l’on mentionne sa mère qui l’attend, et qu’il est supposé que les soldats sont retardés, occupés par "une captive, deux captives par tête de guerrier" (Chofétim 5,28-30).    On trouve un autre exemple dans Yirméya 9, 16-17, où le prophète ironise sur les pleureuse : il parle de hâte (וּתְמַהֵ֕רְנָה ) mais il le fait avec des mots longs et des répétitions (הִתְבּ֥וֹנְנ֛וּ ;   וּתְבוֹאֶ֑ינָה ;   וְתָבֽוֹאנָה׃).

[4]  Traduction A. Chouraqui.  

[5] Yalkout Chim 'oni, Chofétim 5, 56, cit. J. Kohn (1997), pp. 56-57.

[6] « Dans de telles conditions, si elle avait interrogé les 'hakhamim, ceux-ci l'auraient certainement autorisée à utiliser une épée bien aiguisée. Des décisionnaires, notamment leBa'h, estiment qu'une femme a le droit de porter une arme lorsqu'il s'agit de se prémunir contre un risque de mort, dès lors que sa motivation n'est pas de ressembler aux hommes ». J. Kohn (1997), La Haftara commentée, pp.  56-57.

[7] J. Kohn (1997), La Haftara commentée, pp.  56-57.

[8] Séfer Torat hayolédei, introduction, cit. J. Kohn (1997), pp.  58.

[9] Yalkout Chim 'oni, Chofétim 5, 43, cit. J. Kohn (1997), pp.  56-57.

[10] Dans certaines coutumes, ce texte est lu avant le premier repas de chabbat (vendredi soir) en hommage à l’épouse - Echet ‘Hayil (« Eloge de la femme vertueuse ») - אֵֽשֶׁת־חַ֭יִל מִ֣י יִמְצָ֑א   (Michlé 31,10-31).

[11] Yalkout Chim'oni sur Chofétim 5, 56 et Rachi (sur T.B. Nazir 57a), cit. J. Kohn (1997), pp.  56-57.

[12]  Rosenberg (2000) avance une interprétation historique de ces quatre décenies de calme : le remplacement du puissant pharaon Merenptah (XIXème dyanastie) par des successesseurs faibles.

 

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