Séoudat yitro

 

Séoudat Yitro 

 

Il s'agit d'une coutume judéo-tunisienne (également fêtée dans l'Est-algérien) qui donne lieu à une petite fête familiale (dite Sé’oudat Yitro ou "la fête des garçons"), centrée sur l’étude des Dix "Commandements" (1) par les jeunes garçons. 

Dans toutes les communautés juives, il est d’usage d’offrir des friandises aux enfants pour marquer leur entrée au Talmud Torah et toute étape importante dans leur acquisition de la Torah. La coutume tunisienne s’insère dans cette tradition : selon l’âge des enfants, le père raconte, lit, fait lire et commente la 6ème section où se trouve le texte des Dix "Commandements" (1). Après quoi, des bénédictions sont prononcées avant de consommer les aliments. La fête a lieu le jeudi soir (début du 6ème "jour" de la semaine, jour d'étude de la section correspondante dans la paracha de la semaine). 

 

Le festin est à l'échelle des petits garçons: mobilier, vaisselle, aliments. Une table basse est dressée spécialement pour l’occasion, et décorée avec une vaisselle miniature (par exemple: des soucoupes en guise d'assiettes, des verres à liqueurs en guise de verres).

Le repas est constitué de salades variées en attendant le plat vedette de la soirée: des pigeons farcis (ou rotis) qui constituent le plat vedette de la soirée. Il en est servi un par enfant jusqu'à son mariage (certains gardent l'habitude de marquer le jour en poursuivent bien après, et même pour les papas). Pourquoi les pigeons sont-ils à l'honneur à cette occasion? R' Ishay indique: "Certains commentateurs rapportent qu’... il sera bon de consommer de la volaille en souvenir du miracle des pigeons, venus manger la manne déposée durant shabbat à l’extérieur du camp par les mécréants Datane et Aviram cherchant à mettre à l’épreuve la grandeur de l’Eternel et les enseignements de Moshé…" (2016).  De nos jours, lorsqu'il est difficile de trouver dans les boucheries cacher de tels volatiles, on les remplace par des coquelets (ou à la rigueur des poulets, les plus petits possibles). La mère de famille sert donc, après les pigeons, de minuscules friandises en pâte d’amande colorée (modelée en forme de petits fruits), et des pâtisseries orientales variées, toutes de plus petite taille que d'ordinaire (yoyos - petits beignets au miel, briks aux amandes, makrouds, deblah).

 

La coutume d'inclure une pièce montée composée de choux fourrés à la crème et caramélisés, viendrait en souvenir du Mont Sinaï. 
 

On explique le faste de cette coutume par plusieurs légendes tournant autour du fait qu’une sévère épidémie frappant les jeunes garçons a brusquement et miraculeusement cessé le jeudi de la semaine où est traditionnellement étudiée la section hebdomadaire de la Torah qui a pour nom "Yitro" et qui sera lue publiquement le chabbat qui suit. 

Voici quelques hypothèses

- La paracha de la semaine "Yitro" mentionne un repas offert par le beau-père de Moché aux anciens, en présence de Hachèm: c’est, en quelque sorte, la première Sé’oudat Yitro. Moché heureux de retrouver ses fils venus avec leur grand-père, leur aurait réservé une place spéciale dans le festin ; 

- "Une épidémie de peste aurait sévi à Tunis au début du XVIIIème siècle et aurait frappé particulièrement la communauté juive et plus précisément les jeunes garçons. Le jeudi de la Paracha de Yitro, un pigeon blanc aurait avalé un excrément pestilentiel et se serait envolé. L'épidémie aurait immédiatement disparu" (Claude Nataf, 2013);

 

Ce jour est fidèlement marqué dans nombre de familles d’origine tunisienne, mais en fait sa pertinence reste entière pour tous : chaque section hebdomadaire est divisée en sept montées à la Torah, étudiées tour à tour chaque jour de la semaine. La sixième section de chaque paracha de la Torah s’étudie donc les jeudis soir (ou dans la journée du vendredi). Or, le jeudi soir de la semaine qui précède la lecture chabbatique de Yitro, ce sont les Dix Paroles (ou Dix Commandements) qui sont à l’honneur puisqu’elles sont contenues dans la sixième section de cette paracha. Claude Nataf rappelle un enseignement de R' Abraham Taïeb (Baba Sidi, décédé en 1741): il "conseilla aux parents de faire profiter de cette fête tous les garçons qui liraient ce jour là les Dix Commandements qu'il s'agisse de leur première lecture ou d'une répétition de la lecture des années précédentes. Autrement dit, ce Sage voulut que la fête soit une occasion pour les garçons de répéter les Dix Commandements pour s'en imprégner davantage". C'est pourquoi était publiée en Tunisie la feuille dite "Feuille de Yitro / ouarkat yitro" où était reproduits les Dix paroles et le Chéma' Yisraël. Cela pour que les enfants lisent en famille les Dix Parole  (sur cette feuille notamment). 

Cette fête, qui commémore la fin miraculeuse de cette épidémie fait penser à d’autres fêtes introduites dans la coutume d’autres communautés à l'occasion de sauvetages miraculeux (comme le Pourim d’Alger).

On a pu dire qu'un Juif qui oublie les pratiques religieuses reste un Juif de Kippour. Les Juifs d’origine tunisienne se souviennent aussi de se’oudat yitro et de roch ‘hodech el bnat (« fête des filles), tant ces petites fêtes familiales marquent fortement les enfants! Cette coutume sympatique met en bien valeur les petits garçons (qui ne l'avaient pas été quelques temps auparavant, lorsque les filles seules étaient les vedettes un soir de 'hanouka). Au total, en ce jour, nous fêtons nos jeunes garçons à propos de leur étude des dix Paroles. 

Par ailleurs, lors de l'office du jeudi matin, les communautés tunisiennes ont la coutume de ne pas dire les textes dits "ta'hanounim", comme en tout jour de fête. 

Cette fête est célébrée avec ferveur par les Juifs d'origine tunisienne qui font revivre par elle la beauté de leurs traditions et marquent leur attachement à leurs souvenirs. 
Aujourd'hui, des familles d'autres origines se laissent gagner par cette célébration. Ils adoptent souvent sinon la coutume, du moins la pièce montée miniature qui trône dans les pâtisseries juves en cette saison. Une petite pièce montée devenue un symbole de la fête. Mais il faut souligner que ce jour est également célébré par des Juifs d'autres coutumes (2). 

 

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Notes

(1) Pour rester fidèle au texte hébreu, il faudrait traduire "Dix Paroles" et non "Dix Commandements". Traductions et transcriptions doivent être utilisées avec prudence car les choix terminologiques ont des liens étroits avec les choix idéologiques des traducteurs. Ces choix ne sont pas neutres  parce que la conceptualisation de la réalité diffère selon la langue, ce qui est particulièrement vrai pour la langue hébraïque, langue de la création qui, selon la tradition, exprime l’essence des choses désignées.  Traduire (même de bonne foi et avec compétence) ampute donc inévitablement le sens originel. De plus, les choix du  traducteur ne sont pas toujours effectués sans arrières pensées : ils peuvent résulter de partis pris. 

Lorsque l’on traduit עֲשֶׂ֖רֶת הַדְּבָרִֽים « les dix Paroles » par « Les Dix Commandements » cela ne convient pas car le Créateur reste maître de l’univers que Sa loi soit respectée ou non. Or, le mot "commandement" fait allusion à l’autorité de celui qui commande. La réalité de son autorité dépend de l’acceptation de l’ordre par celui qui le reçoit. Si le roi d’un pays n’est pas obéi, il n’a aucun pouvoir et il ne tarde pas à être destitué comme ce fut le cas maintes fois dans l’histoire de peuples (Louis XVI fut même guillotiné). Tout au contraire, les Paroles divines conservent leur valeur intrinsèque même si leurs principes sont ignorés ou volontairement bafoués par les êtres humains. Le Saint, béni soit-Il est et reste le Roi du Monde, absolument pas affecté par la désobéissance humaine à Sa parole.  - Sur les problèmes posés par les traductions de la Torah, voir : Hillel Bakis (2013), Interpréter la Torah, Hotsaat Bakish, Montpellier, pages 21-36. Nombreux exemples de traductions trompeuses. 

 

(2) C'est le cas des Ashkénazim, des Sfards (Europe orientale) et des 'Hassidim. 

- "Le Maharsha, grand commentateur ashkénaze de la guémara, nous rapporte dans le traité méguila qu’il sera bon la semaine de Yitro, le jeudi soir ou vendredi matin, de partager un grand repas afin de remercier l’Eternel pour le don de la Torah en expliquant aux garçons l’importance de l’étude de la Torah dont ils ont l’obligation. Une étude qui assurera la pérennité de leur judaïsme et de leur foi en D-ieu sur le modèle de la séouda dressée par Yitro au Mont Sinaï avec Moshé et les sages d’Israël…" écrit R' Haïm Ichay (2016). 
- "Certains hassidim tels que les vieilles familles Loubavitch d’origines ashkénazes ou encore les hassidei Belz, Vijznits et autres, tous ashkénazes et sfard (et non séfarades) ont pour habitude de célébrer le vendredi matin la séoudat Yitro la nommant le repas de remerciement pour le don de la Torah et fête des garçons" écrit R' Haïm Ichay (2016). 

 

Références 

- Les informations de cette page sont reprise en partie de la dracha 3 de la paracha Yitro, de notre commentaire La voix de Jacob (voir sur ce site). nous avons ajouté quelques précisions supplémentaires (notes). 

Voir aussi les sources et informations supplémentaires:

- Haddad de Paz Charles (1988), De la Kahéna à Mendès-France. Les Juifs de Tunisie à Bible vécue. 360 p. 

- Ishay, Rav 'Haïm (2016), « Séoudat Yitro : les origines de ce minhag tunisien », Torah-box, mise en ligne le 27 Janvier, http://www.torah-box.com/paracha/chemot-exode/yitro/seoudat-yitro-les-origines-de-ce-minhag-tunisien_656.html?utm_source=newsletter&utm_medium=mail 

- Nataf Claude (2013), 'De l'origine de la séoudat yitro', Chiourim.com, janv., http://www.chiourim.com/mots_cles/seoudat_ytro/s%C3%A9oudat_ytro_ou_la_f%C3%AAte_des_gar%C3%A7ons.html  

- Szwarc Sandrine (2013), "Us et coutumes. 'Séoudat Yitro', ou la fête des garçons", Actualité juive, n° 1242, jeudi 31 janvier, p. 38. 

 

 

(c) Hillel Bakis, 2009-2016

Dernières modifications, 28 janvier 2016.

 

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