Sur le ‘ein hara’, par אליהו בקיש

בס"ד  

לע"נ צוירה בת ריקה ע"ה

Sur le 'ein hara' - Est-il permis d’utiliser une incantation contre le mauvais œil lorsqu’on mentionne l’intervention d’anges pour nous secourir ?     

Présentation d’une question au sujet du mauvais oeil posée au Rav Meir Mazouz chlita (Roch Yéchivat Kissé Ra’hamim) et sa réponse [1]

 

Le texte hébreu de la question est diffusé avec l’autorisation de Rav David Gid’one Mazouz chlita fils du Rav Meir Mazouz chlita

 

par Eliyahou Bakis

 

Voici une question que nous avons posée au Rav Meir Mazouz chlita, Roch yéchivat Kissé Ra’hamim (par l’intermédiaire de son fils Rabbi David Gid’one Mazouz chlita). Ce texte a été écrit en hébreu (voir plus loin la version complète) et n’a pas encore été traduit en français. Rav David Gid’one Mazouz chlita nous a suggéré de publier la question elle-même, pour son intérêt propre.

Dans cette présentation, en langue française nous développons certains éléments sur le « mauvais œil » qui ne se trouvent pas dans la partie hébreu ; nous présentons en bref la question et la réponse halakhique. En résumé, le bilingue a tout à y gagner, mais celui qui ne possède pas l’une des deux langues ne sera pas lésé !

 

Le mauvais œil : invention ou réalité ?

S’intéresser à ce sujet peut paraître surprenant mais des sources rabbiniques anciennes et reconnues reconnaissent la véracité [2] du mauvais œil [3]. Toutefois ces mêmes sources reconnaissent également qu’Israël est au-dessus du mazal [4] (voir TB Chabbat 156a/b). Ainsi il n’est pas étonnant que des méthodes anti coup-d’ œil aient été développées.

S’il est évident que la Torah bannit toute sorcellerie [5], il est certain qu’il existe une transmission chez les rabbins (et parfois même chez des gens plus simples) de toutes sortes d’incantations ou de kémi’ot [6]. Sait-on qu’il existe une source qui reconnait l’efficacité du chiffre « cinq » contre le mauvais œil ? [7]

Certes il existe des charlatans qui ont exploité le créneau à mauvais escient (intérêt lucratif, honorifique ou autre) mais il existe également des gens qui veulent bien agir mais ne savent pas forcément ce qu’il est permis ou interdit d’utiliser. Pour éviter les pratiques interdites il est important d’identifier ce que la loi juive reconnait et autorise. C’est dans cette perspective que nous avons développé et présenté cette question au Rav Mazouz chlita.

Quoi qu’il en soit, un certain nombre de « prières » ou d’incantations contre le coup d’œil existent. Nous nous sommes intéressés à l’une d’entre elle, passant de génération en génération dans une famille juive tunisienne. Cette prière mentionne que les anges Michaël et Gabriel se tiennent près de la personne à qui l’on « enlève » le mauvais œil, pour l’aider.

A-t-on le droit de se servir d’une telle incantation où l’on fait appel aux anges pour enlever le mauvais œil ?

A priori on pourrait en douter lorsqu’on sait que le Maharal de Prague ne disait pas la prière de « makhnissé ra’hamim » (où l’on demande aux anges de faire monter nos prières au Créateur) ou encore qu’il existe un avis qui exclut la partie « barkhouni léchalom » (ou l’on demande aux anges de nous bénir) du fameux « chalom ‘alekhem » prononcé avant le kidouch du vendredi soir [8]. Nous même ne disons-nous pas dans la prière « bérikh chémé » (devant le hékhal ouvert) que nous ne nous appuyons pas sur les anges mais exclusivement sur D.ieu ?

 

D’un autre côté, certains sages ont composé et utilisé les prières citées ci-dessus. De plus on sait que certains anges sont préposés à recueillir les bonnes actions accomplies sur terre et lorsque vient un moment d’accusation, ils présentent à D.ieu toutes ces bonnes actions qu’ils ont mémorisées [9]. On voit bien que parfois les anges nous aident [10]. D’où la question.

 

Rav Meir Mazouz, Roch Yéchivat Kissé Ra’hamim a répondu que l’utilisation de ce genre de prières est autorisée et qu’on trouve dans les sources classiques, un grand nombre d’incantations de ce genre. Le Rav a donné une réponse concrète « halakha léma’assé » ce qui est d’une importance certaine.

Bien entendu, il ne s’agit pas de déduire de cette réponse plus que ce qu’elle contient. On ne pourra pas prononcer des noms d’anges dans toutes sortes de prières. Le principe est qu’en général il ne faut pas prononcer leurs noms en-dehors des noms d’anges utilisés couramment comme prénoms (on pourra appeler un enfant Mikhaël, Gabriel, Raphaël, Ouriel, ‘Azriel,…). Pour plus de détails sur ce point, voir la note ci-après. [11]

Remarquons que notre question portait sur des noms d’anges qu’il est d’usage d’utiliser comme prénoms. Cela constitue probablement une des raisons de la permission décidée par le Rav.

 

Un "anti-coup d’œil" efficace

En guise de conclusion, présentons une méthode officiellement reconnue contre le mauvais œil : il est rapporté que lorsque Yossef passait dans les rues d’Egypte toutes les jeunes filles essayaient de capter son attention afin de trouver grâce à ses yeux [12]. Yossef aurait pu profiter de la situation pour prendre du plaisir à regarder ces filles. Pourtant il s’y refusa [13] car il savait que ce n’est pas pour cela que D.ieu nous a dotés de la vue [14]. En récompense D.ieu lui garantit que le mauvais œil n’aurait pas de prise sur lui et sur sa descendance. Cela vaut certainement mieux que la plupart (voir toutes) les incantations !

 

Remerciements

Nous sommes reconnaissants au Rav Meir Mazouz chlita pour avoir pris sur son temps pour nous répondre.

Nous remercions ici Rav David Mazouz, son fils, pour avoir lu et personnellement présenté notre question à son père. De plus il a suggéré et autorisé la diffusion du texte en précisant que la question valait la peine d’être diffusée.

Merci à Chemouel M. pour sa relecture du texte en hébreu.

אליהו בקיש

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Notes

 

[1] Date de la question : adar 5774.

Voir le texte hébreu de la question: https://editionsbakish.com/node/1790

 

[2] Quelques sources mentionnant le mauvais œil :

- Midrach Béréchit Raba (97, 3) rapporté par Rachi (dans Béréchit 48, 16).

-Voir Rachi sur Berechit 49, 22.

-TB Baba Batra 118a, 118b.

-TB Baba Metsia 30a.

-TB Baba Metsia 107b :

והסיר ה' ממך כל חולי אמר רב זו עין רב לטעמיה דרב סליק לבי קברי עבד מאי דעבד אמר תשעין ותשעה בעין רעה ואחד בדרך ארץ. וע' שם תוס' ששואלים: אם כן בני יוסף (שלא שולט בהם עין הרע כדאיתא בברכות כ.) היו צריכים לחיות זמן רב? ומתרצים שיש לומר שכשהיה רוצה הקב"ה להמיתם היה ממית אותם בדרך ארץ. וע' מהרש'א ששואל לפי זה למה 99% בבית הקברות מתו מעין, וכי לא היו שם מבני יוסף? ומתרץ שעשרת השבטים לא הגיעו לבבל ולכן לא היו שם מבני יוסף.

-TB Berakhot 55b:

פתח אידך ואמר האי מאן דעייל למתא ודחיל מעינא בישא לנקוט זקפא דידא דימיניה בידא דשמאליה וזקפא דידא דשמאליה בידא דימיניה ולימא הכי אנא פלוני בר פלוני מזרעא דיוסף קאתינא דלא שלטא ביה עינא בישא שנאמר (בראשית מט) בן פורת יוסף בן פורת עלי עין וגו' אל תקרי עלי עין אלא עולי עין ר' יוסי בר' חנינא אמר מהכא (בראשית מח) וידגו לרוב בקרב הארץ מה דגים שבים מים מכסים עליהם ואין עין רעה שולטת בהם אף זרעו של יוסף אין עין רעה שולטת בהם ואי דחיל מעינא בישא דיליה ליחזי אטרפא דנחיריה דשמאליה

- Choul’hane ‘aroukh ora’h hayim 303/15.

 

[3]    Ou « coup d’œil » ;  עין הרע en hébreu.

[4] De plus la confiance en Dieu et la prière peuvent sauver le croyant des décrets les plus difficiles. Il faudrait donc s’interroger : est-ce que le mauvais œil peut toucher une personne plaçant sa confiance en D.ieu et qui respecte tous Ses principes ? Toutefois dans le cadre de notre question halakhique nous ne développerons pas ce sujet.

[5] Voir Chemot 22, 17 מְכַשֵּׁפָ֖ה לֹ֥א תְחַיֶּֽה. Et Chemouel I 28, 9 :

וַתֹּ֨אמֶר הָֽאִשָּׁ֜ה אֵלָ֗יו הִנֵּ֨ה אַתָּ֤ה יָדַ֨עְתָּ֙ אֵ֣ת אֲשֶׁר־עָשָׂ֣ה שָׁא֔וּל אֲשֶׁ֥ר הִכְרִ֛ית אֶת־הָֽאֹב֥וֹת וְאֶת־הַיִּדְּעֹנִ֖י מִן־הָאָ֑רֶץ וְלָמָ֥ה אַתָּ֛ה מִתְנַקֵּ֥שׁ בְּנַפְשִׁ֖י לַֽהֲמִיתֵֽנִי.

[6] Voir T.B. Chabbat 57b et Choul’hane ‘Aroukh, Ora’h Hayim 303/15 et 308 /33.

[7] L’efficacité du chiffre « cinq » contre le mauvais œil : Voir le commentaire du Ben  Ich ‘Hay « ben yéoyada’ » sur TB Baba Batra 118b. Dans le psaume 81,4 le nom de Yossef fils de Ya’akov est inscrit avec une hé en plus : יהוסף au lieu de יוסף. Il existe plusieurs raisons à l’ajout de cette lettre. Le Maharcha (sur TB Roch Hachana 11b) dit que cela l’a rendu apte à régner (cette lettre représentant l’attribut de royauté). Le midrach (voir Sefer Avoteinou, page 192) dit que grâce à cela il a pu se rappeler les soixante-dix langues en un temps record, condition sine quoi non pour être nommé Roi en Egypte à cette époque. Mais d’après le Ben Ich ‘Hay il s’agissait de lui rajouter le chiffre cinq (la lettre Hé ayant pour valeur numérique cinq) car ce chiffre protège du mauvais œil. Or Yossef devait occuper une haute fonction dirigeante ; on peut imaginer combien il allait être envié (malheureusement l’envieux ne voit que le résultat et la fonction auxquels arrivent les autres mais ne voit pas la peine endurée et le travail accompli pour y arriver).

[8] Voir Chout Igerot Moche, Ora’h ‘Hayim volume 5, siman  43, ot 6.

[9] Voir Tomer Deborah chapitre 1, partie "ki 'hafets 'hessed hou" (au nom du Pardess Rimonim Cha’ar Hahekhalot Sof perek 5). 

[10] Pour ce dernier élément on peut répondre que s’ils agissent d’eux même sans que nous les ayons appelés, cela ne pose pas de problème.

[11] Peut-on prononcer les noms d’anges ou appeler un enfant par leurs noms ? Lorsqu’un homme prononce le nom d’un ange, ce dernier pense qu’on l’appelle. Lorsqu’il vient et se rend compte qu’on l’a appelé pour rien, il se venge sur celui qui a prononcé son nom. Toutefois ceci ne concerne pas les noms d’anges utilisés couramment comme prénoms. Il faudra donc faire attention à ne pas prononcer les noms d‘anges. Lorsqu’on doit lire une prière ou se trouve un tel nom on devra simplement le penser (sans même remuer les lèvres en silence). Voir Chout Ma’yane Omer vol.12 du Rav Yehouda Naki chlita pages 20-21 au nom du livre Kaf Ha’hayim Sofer (Ora’h ‘Hayim 5/10) lui-même au nom du Cha’ar Hamitsvot (parachat chémot) au nom du Ari zal. Voir livre Véyikaré chémo béyisrael pages 160-161 du Rav Avraham Lévi au nom du livre Zékher David. Voir également livre Chémot Baarets pages 39 et 154, du Rav Tsvi Yivrov chlita d’après le rav ‘Hayim Kanievsky chlita. Voir également le commentaire du Ramban sur Béréchit 33/20 que le « minhag israel» est d’appeler sur les noms des anges Mikhaël et Gabriel.

[12] Voir Midrach Hagadol 41/46 et Béréchit 49, 2 (rapporté par Sefer Avoteinou, page 193). [Dans le même genre voir Béréchit Raba 90/3 et Midrach Hagada page 131].

[13] Voir choul’hane ‘aroukh Even ha’ezer 21. Et livre Ma’hané Israël chapitre 12 (par l’auteur du ‘Hafets ‘Hayim) ou il est rapporté que des forces « mauvaises » se tiennent autour des yeux pour inciter à regarder des choses interdites ; heureux ceux qui soumettent leurs cœurs… et essaient de trouver grâce aux yeux de D.ieu par leur actions. Ils mériteront ainsi d’accueillir la présence divine (rapporté dans ‘hout chani sur even ha’ezer 21 page 42).

[14] Toutefois lors d’une rencontre avec une jeune fille dans le but de se marier, il est permis et il convient d’apprécier si la jeune fille plait, sans exagération, s’entend (Voir choul’hane ‘aroukh Even ha’ezer 21/3). Voir également le livre Modesty- an adornment for life, de Rav Pesach Eliyahu Falk chlita page 249 qui cite bamidbar 15/39, TB Kidouchine 41a, Avot de Rabbi Natan 2,5 et Biour Halakha sur Choul’hane ‘Aroukh 225/10 (titre « afilou » qui distingue entre voir et regarder avec attention).Voir également ‘Hout chani, de Rav Nissim Karelits chlita, sur Even Ha’ezer chapitre 21, page 55. Ne pas hésiter à consulter une autorité halakhique compétente, pour toute précision.

 

 

 

 

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