Lion, la Gazelle et le Chacal

 

Lion, la Gazelle et le Chacal

 

Venez écouter l’histoire du puissant lion qui s’était vu offrir une grande quantité de nourriture par l’un de ses respectueux sujets.

Lorsque Lion souleva le couvercle de la première marmite, il constata, déçu, qu’elle ne contenait que des légumes cuits. Pas le plus petit morceau de viande! Ni même la plus petite portion de poisson! Il se détourna de ce cadeau sans valeur, pour regarder, plein d’espoir, le second récipient.

Mais il n’y découvrit, mécontent, que des pomme de terre frites bien chaudes et dorées à point.

 « Un petit enfant aurait été content! Moi non! Et j’ai pourtant bien faim! » s’écria le lion en rugissant de colère.

Car, de cette nourriture-là, le félin ne savait que faire. Nul n’ignore que les lions sont carnivores et aiment la viande! Il ne pouvait donc pas consommer le cadeau qu’un de ses fidèles sujets lui avait apporté pour l’honorer.

 

Or, Lion n’aimait pas gaspiller la nourriture. Il se souvenait encore de ce que sa gentille maman lui avait expliqué alors qu’il n’était qu’un jeune lionceau gambadant sans souci dans la savanne: «  Les aliments sont un don de D ieu. Si tu n’as plus faim, tu n’as qu’à ne pas y toucher et laisser cette part pour tes frères et soeurs qui en ont peut-être plus envie que toi! Ou bien pour d’autres familles! ».

Elle ajoutait aussi: « Pense que certains lionceaux n’ont pas eu la chance d’avoir pour papa et maman, des chasseurs habiles. Alors ces petits n’ont pas un beau morceau d’antilope ou de gazelle dans leur assiette... Ils ne mangent pas toujours à leur faim... ».

Depuis ces leçons de morale, reçues dans sa tendre enfance, Lion faisait attention à ne pas salir ou jeter les aliments dont il ne voulait pas. Il les mettait de côté pour ceux qui en avaient plus besoin que lui.

 

Aujourd’hui encore, il n’imaginait pas de gaspiller toute cette nourriture inutile pour lui. Mais il avait bien faim. Alors, il eut une idée. Il envoya une carte d’invitation à ses deux plus proches voisins, la gazelle et le chacal. Ils étaient conviés à un grand festin.

Il avait eu, bien entendu, une bonne idée: il allait se régaler bientôt avec de la viande fraîche.

 

Ses deux voisins répondirent à l’invitation. Comment refuser l’appel du lion? En les accueillant, ce dernier précisa ses conditions:

« Vous pouvez manger tant que vous voulez. Mais attention: si l’un de vous se plaint en disant 'Aie!', il sera dévoré sans pitié ».

Un nuage d’inquiétude passa sur les deux invités de sire Lion. Mais la faim était si forte que la gazelle affamée accepta le marché sans discuter:

«  Pourquoi rater une si belle occasion? Qui se plaindrait en mangeant? On ne dit jamais 'Aie!' lorsqu'on est occupé à avaler son repas! »  pensa-t-elle naïvement.

 

Hélas! Lion avait ajouté beaucoup d’harissa [1] dans le plat de légumes et cette nourriture enflamma la bouche délicate de la gazelle. Elle tenta de se rafraîchir sans crier les mots fatidiques, qui auraient signé son arrêt de mort. Elle ouvrit la bouche, vida ses poumons dans une grand souffle pour atténuer un peu la morsure du piment... Mais cela n’était pas très efficace.

Elle ne résista pas bien longtemps. On entendit alors, hélas, la plainte fatidique sortir de sa bouche:  « Aie! Aie !»

Le lion n'attendait que cela. Il allongea la patte, exécutant la pauvre bête dont il se régala sans regret aucun.

 

Le chacal, effrayé, avait tout vu... Ce fut bientôt à son tour de subir l’épreuve. Comme la gazelle, il mangea, et comme son infortunée compagne, il eut la bouche en feu tant l’harissa était piquante. Il avait trop mal, sur la langue, dans tout le palais... Il lui fallait crier de toutes ses forces... Oh, comme il aurait voulu appliquer à la lettre le conseil de Rabbi Shim’on ben Gamliel: « J’ai passé toute ma vie au milieu des sages et je n’ai rien trouvé de plus salutaire que le silence » [2].

Pourtant, instruit par l’incident précédent, il rusa. Il fit de grands gestes, comme s’il était un personnage de dessin animé. Il fit semblant de jouer une pièce de théâtre afin d’amuser le lion. A haute voix, il déclama: « Non ! Je ne dirai pas Aie! On ne m'aura pas ! Aie! Aie! Non ! Je ne dirai pas Aie! On ne m'aura jamais ! Aie! Aie! Aie!»

Il s’était plaint, alors que c’était interdit sous peine de mort. Il avait dit sept fois « Aie! », alors qu’il n’avait pas le droit de crier une seule fois ce petit mot, sans signer sa condamnation à mort! Mais il avait su glisser ses plaintes au milieu d’une plaisante chansonnette, jouant la comédie pour plaire à son puissant voisin. Il avait donc parfaitement respecté la condition imposée par le fauve!

 

Lion rit de bon coeur devant le spectable imprévu qui s’offrait à ses yeux. Rassasié, le félin pouvait être magnanime! Il laissa la vie sauve au chacal.

 Trop heureux de s'en tirer à si bon compte, ce dernier s'échappa en courant de toute la force de ses jambes. Quelques temps plus tard, Chacal déménagea, loin du domicile du lion. Il avait compris combien Rabbi Yossé avait raison lorsqu’il affirmait que ce que l’homme doit éviter avec le plus grand soin, c’est un mauvais voisin [3].

 


[1] Pâte de couleur rouge, faite d’ail et de piments forts écrasés, qui est parfois mélangée à certains plats. Cela brûle la langue si on n’est pas habitué.

[2] Pirkey Abot, I-17

[3] Pirkey Abot, II, 14. Nitaï Haarbéli disait aussi: « Eloigne-toi d’un méchant voisin » Pirkey Abot, I, 7

 

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