Postface

 

Anthologie

Contes et récits juifs d'Afrique du Nord

Postface

 

Ces contes ont la saveur du passé: ils parlent de Tunis et de Bône, de Tétouan et de Tripoli, de Constantine et de Marrakech, d'Alger et Mogador... Une atmosphère spécifique se dégage de l'ensemble de ces contes et récits, atmosphère révélatrice de ce qu'a été la condition des Juifs du Maghreb dans les siècles passés.

Ces textes évoquent les temps anciens: exil bimillénaire de Jérusalem, expulsion d'Espagne. Certains, plus récents, transposent des expériences plus récentes... Partis d'Algérie, du Tunisie, du Maroc, d'Egypte ou de Libye, les Juifs du Maghreb se sont installés en Israël, en France ou au Canada, mais aussi en Australie, en Amérique latine. Leur adaptation ne les a pas conduit à renier leur passé, qu’ils aiment à faire revivre à travers les contes des temps anciens...  Car ces récits, ancrés dans le passé (lointain ou proche) mais aussi dans les temps actuels, ils donnent un avant-goût de l'avenir tel qu'il est conçu dans l'imaginaire judéo-maghrébin. Or, dans l'imaginaire judéo-maghrébin, comme, plus généralement, dans le monde juif, la parole est créatrice. Le même mot "dabar", on le sait bien, signifie à la fois "parole" et "chose". Ces récits ne sont donc pas que des mots destinés à alimenter une nostalgie...

Le conteur judéo-maghrébin ne cherche pas à distraire ou à confectionner des archives folkloriques! La production de ces récits,  leur conservation, constituent une sorte d’autodefense culturelle, face aux cultures impérialistes disposant de plus de moyens... Les contes juifs ont construit une véritable forteresse orale pour mieux attendre la venue du Messie. Car, à côté de l'étude de la Bible, du Talmud et des écrits rabbiniques, c'est autour de la transmission de contes, récits et légendes qu'est aussi structurée la communication de valeurs et de traditions dans les familles juives. Lorsque nous avons commencé à mettre par écrit cette anthologie de Contes et récits juifs d'Afrique du Nord, il nous semblait que manquait en librairie un tel ouvrage englobant toutes les thématiques et l'ensemble du Maghreb. Evidemment, les publications ne pouvaient qu'être espacées dans le temps, compte tenu à la fois d'importantes contraintes professionnelles et des opportunités éditoriales.

 

La mémoire vivante encore portée par anciens est irremplaçable.

Partant de la constatation que la mémoire ne subsiste pas toujours, et qu'elle ne retrouve pas à la demande de beaux récits qui nous ont plu un jour et que l'on aimerait partager, il m'a semblé important de mettre par écrit les contes recueillis.

Dans cette démarche, un souvenir m'a marqué qu'il m'est agréable d'évoquer. C'est celui de l'un de mes maîtres au talmud torah de Bône. Il était assez âgé et on le connaissait seulement sous le nom de Rebbi Moché. Il avait une merveilleuse manière de raconter: il faisait d'abord attendre et désirer son conte. Il fallait pour cela qu'il soit content du travail du matin, puis, l'après-midi, généralement après la prière de l'après-midi, il commençait une histoire biblique. Le rythme des histoires et le style oral qu'il maniait à la perfection, sont des enseignements encore vivants. De temps en temps, il s'interrompait pour prélever un peu de tabac en poudre (neffa) dans une tabatière en corne évidée. Le tabac était  couvert d'une boule de fleurs de jasmin fraîchement cueillies. Parfois aussi, il éprouvait le besoin de sortir de sa poche l'un de ses très grands mouchoirs rouges. Après quoi, il reprenait son histoire, n'hésitant pas le cas échéant à mimer la démarche ou les gestes de ses personnages [1]. Il captivait toujours les enfants de sa classe, au moins autant que mon grand-père Joseph,  que l’once Khamous, que Shlomo, Méssaouda,  Swira, Allégera...

Chaque fois que cela était possible, une origine géographique a été indiquée: il s'agit soit du lieu qui est le cadre du récit, soit du pays - ou mieux de la ville d'origine-  du témoin. Dans certains cas, assez rare il est vrai, des récits sont "étiquetés" selon tel ou tel pays, mais rien ne prouve que la production du récit ait bien eu lieu dans le pays en question. Ainsi en est-il pour le récit intitulé "Amen" qui met en scène le roi d'Espagne et présente la raison supposée de l'expulsion! Il est clair alors qu'il s'agit d'une construction ultérieure, détournant en quelque sorte cet événement majeur qu'a été l'expulsion de 1492, au profit de la pédagogie de l'enseignement religieux. Il s'agissait, en l'occurrence, d'apprendre à l'auditeur combien il est important de répondre Amen à telle ou telle bénédiction que l'on entend, même s'il s'agit d'une bénédiction dite par un enfant. 

 

Les récits collectés peuvent répondre à des besoins variés:

- le divertissement des adultes,  des adolescents ou des enfants;

- l'éducation religieuse dans un contexte culturel sépharade. Trop souvent, cette éducation des originaires d'Afrique du nord est faite par des rabbins éduqués dans des écoles ashkénazes, rabbins qui peuvent minimiser la richesse de la culture judéo-maghrébine. Ainsi, pourquoi ne pas illustrer les divers thèmes religieux par des faits survenus à des rabbins algériens, tunisiens ou marocains, plutôt que déséquilibrer l'enseignement par des illustrations venant majoritairement de Pologne, de Lituanie ou de Russie?;

- la mémoire d'un cadre historique, économique, social et culturel où les Juifs ont vécu pendant des siècles. Il ne reste plus, aujourd'hui, qu'une dizaine de milliers de personnes à peine dans les pays arabo-musulmans, là où vivaient il y a quelques décennies, des communautés réunissant une population d'un million et demi de Juifs. Cette  mémoire imprègne encore l'imaginaire des jeunes générations nées en France ou en Israël. Certains récits témoignent du mode de vie et des mille joies et misères de la vie quotidienne. Ils témoignent de la vie matérielle et spirituelle à différentes époques, mais ils illustrent aussi certaines pages de l'histoire juive à travers des cas particuliers.

 

Principaux thèmes

Dans les thèmes abordés dans les récits judéo- maghrébins que nous avons collectés, apparaissent:

- les grandes étapes de la vie individuelle:  la naissance, le mariage avec des Juifs, ou les liaisons avec les non-juifs, la mort, l'éducation des enfants;

- la vie communautaire: fêtes religieuses et cérémonies, organisation des pèlerinages, difficultés budgétaires pour faire face aux dépenses nécessaires;

- la vie matérielle: sécheresse et famine,  manque d'argent et incapacité à honorer un contrat, commerce, travail, vol, disparition de bijoux, incendie et autres catastrophes... La pratique de la dot posait aussi des problèmes parfois considérables et certains récits en témoignent;

- la vie spirituelle:  importance de l'étude de la torah; de la lecture des Psaumes; de la prière; le pouvoir des tsadik et les prophéties des rabbins; les pèlerinages; la venue du Messie; l'importance attachée à la publication des écrits des rabbins décédés; la force de la foi l'amour de Dieu; et l'interprétation des rêves;

- les croyances: des rabbins apparaissent dans des rêves pour communiquer des médications efficaces permettant parfois de guérir là où les médecins ont échoué et n'ont plus aucun espoir; des événements sont interprétés comme des miracles  survenus grâce au mérite de saints tsadikim; des solutions miraculeuses surviennent guérissant les malades, ou soulageant une personne épuisée. On notera les croyances en certains pressentiments, voire en des visions survenues un peut avant la mort, en la migration des âmes, en l'existence du pouvoir de certains sépharim, ou même d'un mazal particulier - tout comme pour les individus. Dans ce cas cependant le destin peut être modifié par la prière et la charité (tsédaka). On verra revenir la crainte du mauvais oeil dans de nombreux récits et aussi, mais plus marginalement, apparaître sorcellerie et diseuses de bonne aventure chez les Arabes ou les Chrétiens, ce qui ne manque pas de susciter selon le cas crainte respectueuse ou moquerie;

- l'imaginaire: certains récits quittent le monde de la croyance pour laisser libre cours à l'imaginaire; ils relèvent parfois du fantastique. C'est le cas pour un conte didactique et moralisateur sur le thème de la folie du pêcheur [2];

- les comportements individuels. Certains récits campés dans un environnement social maghrébin  touchent à des thèmes universels (amitié, modestie, bonté, charité, respect du pauvre, sagesse, maladie, mort aussi). D'autres thèmes sont moins admirables (gaspillage de la nourriture, mauvaises habitudes, etc.).

Ces récits véhiculent  une certaine approche de la condition juive, et ce, en développant parfois une simple observation empruntée à la vie quotidienne....

 

Ils illustrent aussi divers aspects liés à la vie sociale et aux rapports avec les autres communautés:

- relations avec les Arabes: parfois empreintes d'une grande amitié dans les deux sens, mais exprimant aussi une méfiance réciproque (les témoignages de vexations, maltraitances, agressions, et pogroms étant innombrables - les rapports de forces étaient défavorables à la minorité juive). Les Arabes considéraient souvent avec respect les saints juifs et leur rendaient hommage lors des pèlerinages;

- relations avec les Européens: les rapports avec les Européens sont illustrés par quelques rares récits témoignant surtout des champs de préoccupation suivants: le souvenir de l'expulsion d'Espagne et des guerres entre les Portugais et le Maroc; le pèlerinage de certains chrétiens sur le tombeau de rabbins, les mariages mixtes, les rivalités d'ordre professionnel, ou bien la jalousie, et les persécutions liées à la guerre:

- relations avec les officiels israéliens: avec les envoyés du mouvement sioniste les sentiments sont mitigés. Les immigrants sont parfois amers à l'encontre des officiels israéliens d'origine ashkénaze, ou de l'administration, surtout dans l'époque qui a immédiatement suivi;

- migrations: nombreux sont les récits qui racontent d'ailleurs, les débuts souvent difficiles de l'installation en Israël ou en France. Notons que les miracles ont franchi la Méditerranée avec le départ d'Afrique du Nord: divers récits en témoignent, tant en France, qu'en Israël.

 

Ces récits concernent aussi plusieurs  conflits armés: 

- la Seconde Guerre mondiale: occupation de la France, Juifs français originaires d'Algérie traqués par l'occupant; extermination des Juifs par les Allemands; occupation allemande de la Tunisie; collaboration française avec l'Allemagne en Algérie; bombardements italiens sur l'Algérie. Notons que les Juifs sépharades présents en Europe (maghrébins, mais aussi grecs, italiens) partagèrent le sort des Juifs Ashkénazes. En particulier, de nombreux Juifs algériens s'étaient installés en France depuis les années 20 et ils connurent le sort de leurs coreligionnaires européens;

- les conflits liés à l'Indépendance des pays d'Afrique du Nord et l'émigration juive qui en a résulté;

- ainsi que l'Indépendance d'Israël et les conflits du Moyen-Orient: Guerre d'Indépendance, le terrorisme palestinien, les conséquences de la Campagne de Suez, Guerre des Six Jours, implantations juives en Samarie, en Judée et dans le Gouch Katif depuis 1967, Guerre du Kippour d'octobre 1973... Nous avons aussi sélectionné un récit concernant la période où les missiles irakiens tombaient sur Israël pendant la Guerre du Golfe de janvier 1991.

 

D'autres thèmes sont plus familiers - parce qu'ils font partie non seulement du patrimoine de familles précises originaires d'Afrique du Nord, mais plus généralement de thèmes que l'on retrouve dans diverses collections de récits populaires, juifs ou non, à travers le monde entier.

Il serait intéressant de rechercher les points communs avec d'autres récits populaires du monde entier qu'il serait utile d'analyser, de comparer...  Or, les contes judéo-maghrébins - ceux réunis ici, mais aussi plus généralement tous ceux dont nous avons connaissance-  présentent des différences irréductibles avec d'autres corpus maghrébins, différences qui tiennent à leur originalité culturelle. Une sélection s'opère, qui fait que même lorsqu'un conte est d'origine étrangère, les matériaux sont réutilisés, et mis en harmonie avec une culture propre. Ainsi, on n'y trouve pas:  l'incapacité au pardon jointe à une réelle duplicité [3],  l'éloge d'un voleur [4]; la souillure volontaire d’un aliment [5]; l' éloge d'une foi aveugle: comme c'est le cas avec un conte saharien où la foi fait bon ménage avec l'absence de tout bon sens [6]. De tels récits sont inassimilables par le fond judéo-maghrébin. Cependant, certains sentiments mis en jeu, la morale à déduire de contes arabes ou berbères, on relève des traits plus positifs, communs avec certains contes juifs. C'est le cas pour: - le souci de l'avenir pour ses enfants [7]savoir apprécier son bonheur [8]; le prix de la sagesse [9]la pitié envers un animal [10].

Ces récits recouvrent de nombreux siècles jusqu'aux présentes décennies. La créativité des Juifs d'Afrique du Nord ne s'est pas épuisée une fois quittée la terre natale du Maghreb. Au contraire: les parents se sont parfois attaché à transmettre leurs souvenirs, leur nostalgie même; les enfants ont posé des questions lorsque les adultes étaient trop discrets. Avec le départ d'Afrique du Nord, les contes oraux ont pu mieux circuler entre originaires de villes éloignées du Maghreb.

On trouvera des récits très récents puisque certains peuvent être datés de la décennie 1990. Certains d’entre eux rendent compte de nouveaux comportements apparus avec l’évolution de conditions de vie: liaisons avec des non-juifs, difficultés matérielles [11]relâchement de la pratique  religieuse et téchouva (retour à la religion [12]De nouveaux récits sont apparus qui enrichissent le corpus des récits circulant dans les familles.

Certains récits sont sérieux, d'autres plus graves [13], voire tragiques. Certains traitent de la mort, ou d'épisode dramatiques de l'histoire juive [14]

Le lecteur pourra aussi rechercher détente et dépaysement, car certains contes et récits sont drôles: on y relate des ruses [15] et des moqueries contre les puissants [16]On retrouve, au fond, certaines manifestations universelles de l'humour juif [17] ou même certains récits qui relèvent de la fable, car ils mettent en scène des animaux tout en visant souvent une portée pédagogique morale ou religieuse au-delà du divertissement des enfants. On le sait bien, les jeunes enfants sont souvent intéressés par les histoires d'animaux. La tradition des Juifs d'Afrique du Nord n'en manque pas [18]: lions, chameaux, ânes, chevaux, oiseaux, volailles, serpents, rats,  souris et même cafards ou hérissons.

Les  animaux sont parfois un prétexte pour donner une leçon aux adultes, comme on le voit avec le récit marocain "Les vers se plaignent"; alors, c'est le sort du corps après la mort qui est l'objet du récit, et à un deuxième niveau, c'est en fait un reproche direct aux hommes qui pendant leur vie ne s'intéressent qu'à gagner et dépenser leur argent. Ce conte juif délivrait une leçon transparente à ses auditeurs: au lieu de se démener leur vie durant pour augmenter leur masse de viande, les hommes feraient mieux de s'intéresser aussi à leur vie spirituelle, à la pratique des commandements divins et à l'étude de la Torah. Au cas où on n'aurait pas saisi la chose, le conteur pouvait toujours enchaîner avec un autre conte édifiant délivrant le  même message, mais de façon plus explicite: il s'agit de l'explication du rêve du récit intitulé "L'ami négligé".

Le lecteur peut surtout souhaiter agrémenter l'enseignement religieux. Dans la bénédiction que Yaakob fit aux enfants de Yossef, Ephraïm est cité en premier, avant l'aîné Menassé. L'enfant dont les parents sont intégrés professionnellement et socialement à la société, a plus de mérite à conserver les traditions de son père. Et le père a plus de difficulté peut-être, à enseigner à ses enfants.  Yossef devenu grand comme le pharaon d'Egypte nous montre la voie: aucune charge professionnelle ne doit détourner le père juif de cette responsabilité fondamentale... Or, un des modes privilégiés de l'enseignement de nos traditions passe par la aggada, par les récits de la Bible et du Talmud, mais aussi, probablement, si l'on veut conserver la mémoire de phases révolues de l'Exil, par les récits vécus par nos ancêtres ces derniers siècles en terre d'Islam... 

La mémoire de ces temps, où Juifs et Arabes cohabitaient, sera peut-être aussi un pont vers le futur, vers les temps messianiques où la concorde règnera entre tous les hommes, et, en particulier, entre Ismaël et Israël... Peut-être même, avant! Mais il faudrait aussi qu'une démarche parallèle soit menée par les éducateurs, tant dans le monde arabo-musulman, qu'en Europe. L'évolution depuis les années 2000 au moins ne va pas en ce sens. Dans les "territoires perdus de la République" et dans une centaine de quartiers "européens" la société d’accueil ne parvient pratiquement plus à faire prévaloir ses valeurs. Dans le monde arabo-musulman l'antisémitisme ouvert se répand aussi par les livres destinés aux écoliers - parfois avec des fonds provenant de l'aide versée par la Communauté européenne! 

 

L'importance des contes dans l'éducation 

Les récits retransmis aux enfants dès leur plus jeune âge jouent probablement un rôle important dans l'ancrage de ces enfants dans la foi de leurs ancêtres; ils servent aussi à restituer le cadre de vie ou le cadre historique de périodes révolues.  Les récits transmis oralement sont tirés d'un vaste corpus provenant tant de la Bible, du Talmud et de  littérature rabbinique. Ils proviennent aussi de sous-corpus spécifiques propres à certaines régions [19], communautés ou familles. Et ces récits de caractère religieux restent dans le patrimoine culturel des familles pratiquantes, notamment grâce aux moments particuliers qui constituent le chabbat. L'interdiction de faire du feu, d'utiliser l'électricité, et par conséquent d'allumer la télévision ou les divers appareils électriques et électroniques, permettent aux familles de retrouver un moment de communication hautement "convivial" autour des repas sabbatiques du vendredi soir et du samedi midi. C'est l'occasion de parler du contenu hebdomadaire de la torah. Selon l'âge des enfants, c'est le moment d'intéresser les petits avec des récits (aggadoth) tirées du Talmud et de la tradition rabbinique ou éventuellement encore -pourquoi pas?-, de diverses histoires familiales ou d'Afrique du Nord (Ch'ha notamment). C'est aussi le moment notamment au début de l'après-midi, d'étudier des lois (halakhot, michna) ou toute autre étude (lecture, Thora, commentaires, Talmud)... Plus particulièrement, les ensembles de récits spécifiques à telle ou telle famille, témoignent d'une créativité et d'une réelle production dans le domaine de la littérature orale.

La création populaire des Juifs d'Afrique du Nord mériterait plus d'attention; elle est encore peu explorée. La mise à jour de corpus de récits familiaux permettrait de mieux apprécier la dynamique de ce qu'il ne faut pas craindre de considérer comme une véritable littérature orale. Les ensembles de récits circulant dans telle ou telle famille, témoignent en effet d'une créativité réelle. Il a semblé intéressant de réunir ici quelques contes relevant de cette catégorie.

Toutes les familles disposent d'un corpus de récits qui leur est propre et qu'elles en font émerger des morceaux dans certaines occasions.  Il y a, à cette occasion, notamment chez les Juifs d'Afrique du Nord, une volonté de perpétuation des souvenirs d'époques révolues et surtout, une tentative pédagogique pour transmettre la foi religieuse des parents et grands-parents.  Cette mémoire de situations ou d'événements considérés parfois comme miraculeux offre un fort témoignage  de l'atmosphère de profonde religiosité qui caractérisait et caractérise encore souvent les Juifs d'origine maghrébine. Cela est vrai en particulier pour les femmes, mais pas uniquement.

La plupart des récits présentés dans ce recueil sont véridiques - ou considérés comme tels par ceux qui les rapportent. Des exceptions existent cependant, certains récits jouant sur le merveilleux voire le fantastique pour faire passer leurs messages. Certains contes ont une fin aussi heureuse qu'imprévue ils sont interprétés à la lumière du miracle par ceux qui les racontent et ceux qui les écoutent. Outre le plaisir certain qu'ils procurent, ces récits peuvent être aussi lus en liaison avec la foi qui les anime. On peut considérer que leur transmission fidèle de la mère aux enfants et de la grand-mère aux  petits-enfants, est un pur témoignage de foi: les  diverses générations bénéficiant de la protection divine issue du mérite des sages rabbins d'Afrique du Nord.

En rédigeant ce livre, j'avais à cœur la réalisation de trois espoirs:

- La conservation des récits familiaux est probablement la partie la plus négligée dans la tentative de préservation de la littérature orale judéo-maghrébine.  Une partie de ce livre - et plus encore le second volume en cours de préparation- rassemble des récits populaires inédits circulant dans des cercles familiaux restreints. Mais il est presque déjà trop tard pour consigner la mémoire des anciens, porteurs d'une tradition souvent négligée. Pourquoi ne pas monter un programme de recherche systématique par exemple auprès de maisons de retraites communautaires, et autres lieux où se réunissent des anciens, dans toute la diaspora sépharade, et notamment en France? Nous avons peut-être déjà manqué l'occasion historique de restituer la richesse de ces précieux souvenirs. Peut-être est-il encore temps de limiter l’effacement de la mémoire. Notre quête de la mémoire des anciens - et dont cet ouvrage restitue les fruits - constitue une modeste participation dans cette entreprise;

- le rappel de la religiosité de cette société judéo-maghrébine - la mémoire des familles contient de nombreux récits de cette catégorie, notamment sur les actions et miracles des personnages bibliques ou des rabbins d’Afrique du Nord;

- l'amorce, enfin, de l'élaboration d'un patrimoine commun à l'ensemble des Juifs de diverses origines. Ce patrimoine devra être représentatif des diverses cultures,  dans le respect mutuel: les contes de Juifs originaires du Maghreb peuvent fournir d’admirables matériaux pour une telle construction [20].Ce patrimoine sera un héritage collectif. Mais attention! Sous peine d'être insignifiant, ce patrimoine devra être traversé par le véritable héritage d'Israël: le rapport à la Torah.

Il importe que le lecteur s'approprie suffisamment les récits qu'il aura préférés afin de les raconter avec ses propres mots. Le nouveau conteur ne doit pas craindre d'y ajouter des fioritures, ni de faire varier les situations afin de mieux s’adapter à son auditoire - que personne ne peut connaître mieux que lui.

De la sorte, de simple lecteur, il deviendra conteur, portant à son tour le patrimoine légué par les anciens. Il jouera ainsi son rôle dans la chaîne d'or de la tradition juive, en attendant que n’arrive le Messie fils de David.

 

Folklores d’Israël

Les Archives du Folklore Israélien ont été fondées par Dov Noy en 1955 dans le cadre du Musée d’Ethnologie et de Folklore de la Municipalité de Haïfa. Né en Pologne en 1920, Dov Noy monte à Jérusalem à 18 ans pour commencer des études supérieures à l’Université hébraïque puis diriger le Musée Ethnologique de Haïfa et les Archives du Folklore d’Israël jusqu’au bébut des années 1980 [21]. Le travail effectué s’inscrit dans la ligne de l’expédition ethnographique de Shloyme An-ski qui recueillit le folklore des communautés juives d’Ukraine en 1912-1914. Il est inestimable par son importance et par son ampleur [22].  

Déposées à l’Université de Haïfa depuis 1983, les Archives du Folklore Israélien (IFA en anglais) avaient réuni 21800 contes populaires au début des années 2000 [23]. Cette institution unique en son genre, concerne toutes les communautés d’Israël et les collections s’enrichissent jour après jour de contes, légendes et récits juifs du monde entier: Afrique : Afrique du Sud (5), Algérie (26), Egypte (280), Ethiopie (164), Libye  (277), Maroc (2040), Tunisie (691). Amérique : Argentine (49), Brésil (2), Chili (2), Uruguay (1).  Asie : Inde (115). Proche et Moyen Orient : Afghanistan (529), Irak (1389), Iran (801), Kurdistan irakien (688), Liban (59), Syrie (267), Turquie (382),  Yémen (1545). Europe centrale et orientale : Bulgarie (47), Caucase (80), Géorgie (88), Lituanie (185), Pologne (2800), Roumanie (590), Russie (316), Ukraine (762). Europe occidentale : Allemagne (63), Grèce (43), Espagne (20), France (10), Italie (50), Royaume Uni (5), ex-Yougoslavie  (115 dont 59 séfarades et 56 ashkénazes). Israël : 2400 contes d’intérêt général, plus des collectes spécifiquement ashkénazes (943), sépharades (801) ou provenant d’Arabes chrétiens (186), d’Arabes musulmans (406), de Bédouins (296), de Druzes (331) et de Samaritains (54)[24].

Le nombre de contes recueillis pas pays est un reflet de l’immigration en Israël. Ainsi, en janvier 2000, seulement vingt pièces représentaient la culture populaire judéo-algérienne[25]. Ce genre de lacune se retrouve pour toutes les communautés de diaspora comptant peu d’immigrants (deux contes brésiliens ou chiliens : nombre insignifiant de contes anglais, mais aussi français) ; aucun conte canadien, mexicain, australien, néerlandais, etc.

Un demi-siècle après la fondation de cet Institut, est-il encore possible de rendre ce travail plus efficace dans le futur ? L’existence des I.F.A. est très importante, et le travail doit continuer dans les meilleures conditions, des efforts devant être engagés dans plusieurs directions :

  • Poursuivre la collecte - Cette entreprise doit se poursuivre auprès des Israéliens, des nouveaux immigrants, mais pourrait également, s’intéresser au folklore négligé de certaines communautés de la diaspora  quitte à engager une action commune avec des universités situées hors d’Israël 
  • Veiller à la conservation et à la diffusion des collections actuelles - L’ancienneté des matériaux collectés par les I.F.A. impose une grande vigilance quant à leur préservation physique. La plupart du temps, ces archives sont constituées de simples notes  manuscrites sur du papier ! Que deviendront-elles si n’est pas entreprise la duplication sur de nouveaux supports ? On pense d’abord à une reproduction systématique sur microfiches ou  photographies, à la saisie sur systèmes de traitement de textes, et à une mise à disposition du public potentiel sur CD ROMs, Internet. Les activités éditoriales des IFA se font en hébreu ou en anglais ; elles mériteraient d’être élargies à d’autres langues. Mais il est vrai que les trésors hébraïques des I.F.A. se retrouvent dans les œuvres des auteurs du monde entier (préparation de recueils, ou études comparatives du folklore international).
  • Récolter des versions plus fidèles - La méthode choisie a pu conduire à des pertes irréparables : richesse, poésie, finesse, subtilité, lyrisme parfois des versions originales des contes orientaux ou maghrébins. Car, jusque là, ce n’est pas dans la langue maternelle du conteur mais dans un hébreu hésitant souvent nouvellement acquis qu’ont été recueillis nombre de contes. Parfois, un tiers dévoué fait ce travail, risquant d’interposer son propre prisme culturel afin d’améliorer une transcription indigente ! La collecte dans la langue originale des conteurs semble indispensable et complémentaire au travail de valeur déjà effectué.

Ainsi, quelques missions principales s’imposent: poursuivre la collecte, mieux conserver et diffuser le matériel réuni, mais aussi ouvrir une nouvelle collection dans les langues originales, ce qui s’impose tout particulièrement pour les contes orientaux. Dans l’état actuel des choses, les communautés de diaspora, auraient tort de ne pas se préoccuper elles-mêmes de la préservation de leur patrimoine culturel. Il serait irréaliste de se reposer seulement sur cette belle institution qu’est l’I.F.A. Or, il y a urgence : car l’acculturation avance à grand pas en l’absence des sociétés support traditionnelles… En France, les originaires d’Alsace-Lorraine ou du Maghreb (d’Algérie surtout) doivent se mobiliser pour conserver ce qui peut encore l’être et…  améliorer la statistique !

Enfin, il faut nous interroger sur l’utilisation et la nature des retombées culturelles de cette vaste entreprise de collecte. Il convient de rédiger de nouveau les contes en vue de leur adaptation pour le public auquel ils sont destinés (âge, époque, vocabulaire, environnement socioculturel et technique, etc.). Il s’agit de savoir si ces contes visent à alimenter uniquement la connaissance et la comparaison des folklores et cultures populaires du monde, ou bien s’ils sont restitués dans le contexte précis de leur création : la culture juive religieuse.

Les deux objectifs ne sont pas contradictoires d’ailleurs et la phase de collecte peut être commune. Mais la phase de restitution-publication est toute différente selon que l’on se place dans l’un ou l’autre cas. En particulier, certaines pièces collectées résultent d’une population déjà acculturée et, du fait de leur sujet scabreux, voire du fait de leur vocabulaire peu convenable parfois, ne méritent pas d’entrer dans notre sélection.

Dans la perspective qui nous intéresse ici, l’objet ne serait plus la conservation d’une version datée en vue d’un traitement de type ethnologique et historique. Il s’agirait d’un traitement de type littéraire ou bien d’une réappropriation orale par un conteur (après lecture d’une version imprimée). Le but visé serait la transmission de l’esprit et non de la lettre de ces contes.

Dans ce contexte, les contes judéo-maghrébins sont particulièrement bien adaptés pour servir de support à la culture de la Torah et à la motivation des jeunes et moins jeunes en vue de l’étude et de la pratique des mitsvot

En commençant cette anthologie, notre objectif était de préparer un matériel pour faciliter l’éducation de mes enfants. Ce matériel est passé à présent de l’état de notes à usage personnel à un ouvrage plus achevé. Nous espérons le voir utilisé par les éducateurs et les pères de familles afin de contribuer à l’éducation de nos enfants dans la lumière de la Torah et des mitsvot.

Tout corpus de récits est amené à évoluer: certains récits ne sont plus racontés, d'autres sont adoptés. Il nous a semblé utile d'adopter cette perspective dynamique. Dans le corpus ici réuni, nous trouverons donc:

- quelques adaptations originales;

- quelques récits anciennement adaptés. En Algérie, parmi les récits circulant en milieu juif, certains provenaient de fonds populaires français. Un témoin, le rapporte clairement: "On ne se racontait que des histoires françaises, des histoires qu'on trouvait dans des livres". Pourtant, ce type de récits et autres "histoires drôles" sont perçus clairement comme distincts du corpus de récits traditionnels;

- quelques rares récits provenant du monde Hassidique ou Ashkénaze - non retenus, car non représentatifs des anciens corpus de récits familiaux judéo-maghrébins [26].

- quelques récits que nous incorporons pour leur intérêt et leur conformité culturelle avec les corpus de récits nord-africains (ainsi: le récit judéo-afghan collecté en Israël: Le Roi et les deux mendiants).

 

L'élargissement du champ des récits familiaux se fait tout naturellement, depuis les migrations en Israël ou en France: par la fréquentation d'amis, par la lecture de la presse ou d'ouvrages, par l'enseignement reçu par les rabbins sépharades dans des yéchivot dont les maîtres étaient très souvent ashkénazes; par l'école juive... Il n'y a là rien qui doive effrayer. Au contraire, c'est un bon signe que cet élargissement. A condition, pourtant, que ne se développe pas une acculturation sépharade, au profit d'autres courants traditionnels du judaïsme. Or on peut craindre à la fois un impérialisme culturel unilatéral, et la dévalorisation du patrimoine maghrébin. Cela joint à l'emprise souvent grande de la télévision (et donc de produits américains et japonais), peut faire craindre pour la transmission orale des récits maghrébins en direction de la nouvelle génération, tant en milieu familial qu'en milieu scolaire juif.

La conservation des contes, récits et légendes permet la préservation d'une culture vivante, et la transmission d'une perception du monde. Les récits judéo-maghrébins méritent aussi d’être mieux connus, car ils enrichissent le patrimoine collectif des hommes du monde entier, en abordant des thèmes religieux, humains et sociaux, qui ont une indéniable valeur générale.

 

Hier, aujourd’hui, demain

Dans les différents lieux de leurs séjours, les Juifs ont toujours su s'approprier et « assimiler » certains éléments culturels venant des cultures de leurs voisins. Les recueils d’histoires parues en hébreu ou en judéo-arabe en témoignent [27], tout comme, sous d’autres cieux, les compilations utilisant la langue yiddish.

Ce processus se poursuit aujourd’hui débouchant sur une évolution de la culture judéo-maghrébine car depuis les années 60 au moins, les Juifs d’Afrique du Nord vivent au contact d’autres populations  tant en Israël qu’en France et ailleurs dans le monde. Il n’existe plus de société support, en dehors de rares lieux qui n’ont pratiquement plus de masse critique depuis 2010 (un millier de personnes à Djerba, Tunisie; quelques milliers dans le grand Casablanca, Maroc) ou qui sont noyées dans la société environnante  (comme c’est le cas pour quelques communautés en Israël, en France, au Canada...). 

Quatre options sont simultanément possibles :

- Perte de cette culture par assimilation  d’une grande partie des populations au monde non-juif[28] ;

- Préservation d’une culture [29] dans des cercles limités d’amateurs nostalgiques;

- Acculturation par  assimilation  dans le moule culturel israélien, ou hassidique [30]: la production judéo-maghrébine a été négligée tout au long du 20è siècle par des générations occidentalisées ignorant leur patrimoine ancestral ainsi que les langues permettant d’y accéder (judéo-arabe, judéo-berbère, mais aussi araméen et hébreu [31]. De plus, nombre de rabbins originaires de pieuses familles nord-africaines se «’hassidisent »  ou « s'ashkenazisent » soit par ignorance de leur propre patrimoine sépharade, soit par suite de l’influence de la Yéchiva où ils ont étudié.

- Fertilisation, enfin, de la culture juive générale avec les richesses spécifiques des différents patrimoines juifs (y compris le patrimoine  judéo-maghrébin). Cette dernière option est la plus stimulante pour les générations futures. Déjà, elle s’amorce - d’une manière hélas déséquilibrée - par l’introduction  de la culture ashkénaze et hassidique parmi certaines populations sépharades. Ceci est  un fait et aujourd’hui, certains de ces éléments culturels ont été adoptés par des Juifs originaires d’Afrique du Nord. Mais pourquoi refuser de telles additions si l’on sait pratiquer un juste équilibre ? La culture judéo-maghrébine a su digérer des éléments bien moins assimilables dans le passé !



(c) Hillel Bakis 

 

Postface à l'Anthologie Contes et récits juifs d'Afrique du Nord (1990-2016)

 

 


[1] Des conteurs maghrébins ont pu regretter la baisse d'audience des conteurs traditionnels: "dans ce siècle de bruit, l'oreille a cessé d'entendre la voix du poète illettré. L'oreille n'écoute plus que les médias; elle se laisse agresser par des rythmes barbares, se grise de niaiseries, de phrases pompeuses et vulgaires". Ahmed Sefrioui  a su décrire avec nostalgie le temps où le conteur attirait la foule sur la place publique: "Dans un coin retiré de l'immense place, assis à même la poussière rouge, les amoureux de l'aventure prennent des poses confortables. Ils forment un demi-cercle face au tabouret de bois, siège du conteur encore absent. Il sera bientôt là. Petits artisans, ouvriers, oisifs et vagabonds se sont rassemblés sans que le barde ait lancé d'appel... Ils connaissent tous ce théâtre de poussière, ce théâtre sans accessoires, ce théâtre réduit à la présence d'un tabouret de bois. Ce siège dérisoire et magique leur impose respect et silence. Ils se sont installés timides et légèrement maladroits... Tous attendent... Pendant deux heures, la voix du conteur, son verbe sonore, le rythme de ses périodes effaceront de leur mémoire la grisaille du quotidien..." (Ahmed Sefrioui, in  Le jardin des sortilèges ou le parfum des légendes. Contes. L'Harmattan, Coll. La légende des mondes, Paris, 1989 pp. 9-11).

[2] Voir "Le pêcheur  au paradis" ou "Le démon, l'Arabe, le Chrétien et le Juif"

[3] Telle que l'exprime le récit suivant: Un boulanger refusa l'aumône d'un pain  à un mendiant affamé. La foule ayant reconnu en ce mendiant le saint homme Messaoud, le boulanger fut pris de remord et sausi de honte, il demanda pardon. Messaoud accepta "à une condition: tu prépareras pour demain un couscous pour tous les hommes du village". Chose faite, loin de tenir parole et de pardonner, Messaoud réclama la punition du boulanger qui fut chassé de son village. La raison était simplement que "C'est le premier élan du coeur le plus important!" (Cf. Voisin, 1995, pp. 71-73)

[4] Comme c'est le cas avec le conte saharien: "le voleur de 'lagmi', in Voisin, p. 67

[5] Voir le conte palestinien cité par Inea Bushnaq, Arab folktales, op. cit. 1986 (p. 227; « How the monkey got his shape »). Un tel récit relatif à la dégradation d’un morceau de pain est surprenant, les Arabes témoignant d'un grand respect pour cet aliment. Un exemple: en Algérie, un morceau de pain, s’il est à terre, est ramassé avec empressement, embrassé, et déposé loin des souillures afin qu’il puisse profiter à un malheureux (sur un banc public ou un muret). Un autre conte palestinien parle de pain, et enseigne l’importance de la diginté humaine: « plutôt vivre dignement avec seulement du pain sec que maltraité comme un chien avec de la viande ! », Cf. « Le pain sec », Muzi J. op. cit. 1983, pp. 53-56

[6] Un riche commerçant ayant donné une magnifique perle à Messaoud, le saint homme se demanda ce qu'il ferait d'un tel trésor. Il décida qu'elle lui servirait à sonder le coeur de ses compatriotes" et il demanda à plusieurs personnes de la  briser. Les uns et les autres refusèrent avec ingignation. Un  savetier accepta et reçut l'éloge de Massoud: enfin une foi sans faille un gage de fidélité et de dévouement qui m'honore. C'est avec des hommes comme lui que je peux espérer répandre la parole de notre prophète". (Cf. Voisin, 1995, pp. 75-78)

[7] Voisin, pp. 23 et suiv. "Un paysan âgé plantait un grenadier lorsqu'un riche marchand lui fit remarquer qu'il était âgé et qu'il ne mangerait pas du fruit de cet arbre. Le paysan répondit que lui avait mangé les fruits des arbres que son père avait planté, et que ses enfants mangeraient les fruits de celui qu'il plantait. Amusé, le marchand lui donna une pièce, et le paysan se mit à rire en disant: "mon arbre m'a rapporté de l'argent avant même de porter ses fruits";

[8] Voisin, 1995, pp. 127  et suiv."Un paysan saharien était malheureux de son sort. Il avait passé sa vie à cultiver des palmier, et à lutter contre le sable et contre le vent. Il se mit à envier le palmier qui recevait ses soins. Il pria le ciel de le transformer en palmier. Une fois palmier, il se rendit compte lors de la sécheresse que l'eau est plus heureuse, et il pria pour devenir eau. A chaque transformation, il se rendit compte que ce qu'il croyait être favorisé du sort, était en fait moins favorisé qu'il le croyait. Après le palmier cela avait été l'eau, puis le soleil, puis le nuage, puis le vent, puis ... homme. Car il se rendit compte alors que toute sa force ne suffit pas à faire plier les hommes des oasis qui malgré leurs dures conditions de vie parvenaient à lui tenir tête. (cf. "Ahmed à la recherche du bonheur");

[9] Voisin, 1995, p. 73 et suiv. Un vieux sage a su convaincre ses enfants dans le besoin "de le vendre pour sa capacité à donner des conseils. Il est acheté par un des plus puissants seigneurs de la ville  car: "Tout le monde peut posséder des palais, de besses esclaves, des chevaux de race, des faucons de chasse, des joyaux et des pierreries, mais personne ne peut se vanter de garder parmi ses trésors un sage plus que centenaire en possession de connaissances fabuleuses et d'une longue expérience". Suivent des conseils négatifs sur l'achat de miel -bon mais provenant d'un cimetière-: d'une jument -belle et forte mais née d'une haridelle qui n'a jamais enfanté que cette jument alors qu'elle était âgée; conseils négatifs aussi à propos d'un mariage avec une jeune fille qui avait toutes les qualités -humaines, beauté, naissance, richesse- mais est en fait le résultat d'une infidélité de la mère. Après chaque conseil, et la vérification de sa justesse, le seigneur offrait un pain et un mouton rôti. Un jour, le seigneur surprend la réflexions suivante du sage: "les grands montrent leur grandeur dans leur manière de donner. Que peut donner le fils d'une boulangère et d'un rôtisseur de moutons?" Le seigneur alla interroger sa mère qui l'informa d'un lourd secret, elle l'avait déclaré comme son fils avec le consentement de ses vrais parents de crainte d'être répudiée. Et l'histoire finit avec de généreux cadeaux au sage et à ses enfants pour que cela ne s'ébruite pas".

[10] Voisin, 1995, p. 21 et suiv.: Un voleur contraint à fuir son pays éprouve de la pitié envers une vipère tombée au fond d'un silo. Il la libère après avoir hésité, et se voit promettre de l'aide si nécessaire. Plus tard, capturé et sur le point d'être exécuté, il se résout à appeler trois fois "vipère mon amie". De fait, la vipère s'enroule autour du cou de la fille du roi, et le prisonnier seul parvient à la libérer, ce qui lui sauve la vie, etc."

[11] Voir in Bakis Hillel, op. cit. 1990/ 5750 : "La robe rose de Fortouna"; "Les livres de classe de Fortouna"

[12] Voir « Le plomb fondu et la cuillère de miel »

[13] Voir      "Les vers se plaignent", "La pluie et la ménagère", "Rebbi Bessis  et le joueur  d'aoud"

[14] Voir La flamme des crématoires"

[15] Par exemple, voir : "Eliaou et le marchand d'œufs", "L'homme qui voulait changer de femme", "Le démon, l'Arabe, le Chrétien et le Juif", "Le chef de la police et la soucca"

[16] Voir ci-après: "Rambam, le grand vizir et le Sultan des poissons"

[17] Voir « Le vendeur de merguez »

[18] Voir les contes où sont mis en scène des animaux.

[19] On en retrouve un grand nombre par exemple dans M. Houri-Pasoti (1980); et dans des recueils d'histoires de ChHa - par exemple A. Nahum (1978); P. Sadeh, (1989); H. V. Sephira (1992).

[20] Voir par exemple les tentatives réalisées en cette direction en Israël (P. Sadeh, 1989) ou aux Etats-Unis (J. Sherman, 1992). Lorsque notre projet a commencé, lorsque ces lignes ont été écrites, nous n'avions pas encore connaissance de ces nouvelles tendances dont témoignent ces deux livres découverts en 1994.

[21] Notre anthologie avait pour objet de restituer contes et récits judéo-maghrébins aux familles originaires d'Afrique du Nord. Cette postface vise à la placer en perspective avec la collecte et la conservation du folklore juif effectuées par l’Institut du Folklore d’Israël (IFA).

[22] De larges extraits de ce texte ont été publiés dans Actualité juive Hebdo, n° 707, 14 juin 2001, p. 49.

[23] Chiffres de 2000-2001.

[24] Source : IFA. Chiffres de janvier 2001.

[25] Collecte doublement non représentative : 75% de ce matériel étant collecté auprès d’une seule et même personne (nouvel immigrant de France né en Algérie) ; il s’agissait d’anecdotes et de plaisanterie. Source : IFA, janvier 2000.

[26] A titre d'illustration,  voir dans ce volume: "Le chabbat du cocher" en partie adapté du récit entendu d'un Rav originaire du Maroc; et "Les œufs du rabbin".

[27] Ainsi  les ouvrages d'histoires édifiantes tels : Hibour yaffé mehayéshu’ah (de R’ Nissim ibn Shahin de Kairouan, vers l’an 1000), suivi par de nombreux autres, dont ceux édités à Livourne au 19ème siècle : Oseh Fele (très connu dans tout le monde juif, de R’ Yossef Farhi, 1845), ou Maasé hasha'shouim (en judéo-arabe de  R’ Eliaou Guedj  1867).

[28] Par le biais des mariages mixes débouchant en général sur un éloignement radical dès la seconde génération (surtout s’il s’agit de descendants d’une juive, ne portant plus un patronyme juif  et qui, paradoxalement, sont juifs selon la halakhah).

[29] Culture de type muséographique surtout, à l’horizon de quelques générations.

[30] Et même prosélytisme chrétien en milieu juif, tant en Israël qu’en France et en Amérique du Nord.

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